Publié le 18/07/2017 • Par Bénédicte Rallu Claire Boulland • dans : A la Une RH, France, Toute l’actu RH
Lors de la Conférence des territoires du 17 juillet 2017, le président de la République a proposé de différencier le point d’indice entre les trois versants de la fonction publique. Une annonce qui semble bien compliquée à mettre en œuvre pour le monde de la territoriale… Le rappel à l’ordre sur le temps de travail n’a en revanche pas vraiment ému, tant ce débat paraît dépassé pour certains ou trop réducteur pour d’autres.
Sans prononcer les mots qui fâchent, Emmanuel Macron a proposé aux collectivités, lors de la première réunion de la Conférence des territoires, de décorréler le point d’indice entre les trois versants de la fonction publique : « Il n’est pas normal, lorsqu’on cherche à augmenter par exemple le point de la fonction publique hospitalière, que toutes les fonctions publiques soient entrainées dans le même mouvement. Nous devons avoir une gestion différenciée des fonctions publiques, parce que leur réalité est différente, parce que les contraintes de gestion qu’on fait ensuite peser de manière mécanique sur les collectivités locales sont peu soutenables », a-t-il déroulé devant les participants de la rencontre le 17 juillet. La mesure n’est pas une surprise, elle figurait dans le programme du candidat Macron.
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Cela ne serait qu’une proposition faite aux collectivités, précisait-on dans l’entourage du président de la République après le discours. Vraiment ? Certaines associations d’élus ne semblent pourtant pas en demander tant. Elles désirent en revanche associées aux décisions qui les impactent : elles dénoncent depuis des années la revalorisation de point d’indice décidée « de façon autoritaire sans qu’on n’ait rien demandé », témoigne Caroline Cayeux, présidente de l’association Villes de France.
« Il vaudrait mieux que les collectivités soient associées à une négociation globale. »
Mais pour Charles-Eric Lemaignen, président de l’Assemblée des communautés de France, il est « embêtant de partir d’un tel présupposé de déconnexion du point d’indice, même si cela n’est pas idiot de réfléchir à la manière d’augmenter le point pour cinq millions de fonctionnaires. La déconnexion remet en cause le principe de mobilité et l’un des points les plus importants du statut. Il vaudrait mieux que les collectivités soient associées à une négociation globale et/ou réfléchir à certains métiers et assouplir par exemple le recours aux contractuels ».
Remise en question du statut
Une telle proposition pourrait-elle réellement être applicable ? Beaucoup en doutent. Une telle mesure poserait vraisemblablement davantage de problèmes qu’elle n’en résoudrait. Les organisations y sont hostiles pour diverses raisons. Les plus durs craignent tout simplement la casse du statut de la fonction publique. «Parler de gestion différenciée du point d’indice, c’est remettre en question le statut, l’unicité des fonctionnaires. Si cela se met effectivement en œuvre, cela va casser le travail collectif, diviser les agents et les collectivités », prédit Christophe Couderc (CGT). Denis Turbet-Delof, délégué général fonction publique à Solidaires, voit dans le discours d’Emmanuel Macron « une attaque en règle de la fonction publique territoriale. Et à mon sens le président a annoncé les prémisses du démantèlement du statut de la fonction publique en proposant de différencier le point d’indice par versant ! ». Pour Bernadette Groison, secrétaire générale de la FSU, « il faut préserver un cadre identique pour tous les agents. Avec une telle proposition, je ne vois pas ce qu’Emmanuel Macron veut prouver en termes d’efficacité. C’est comme s’il voulait casser le cadre commun pour aller ensuite plus facilement vers une gestion spécifique de chaque versant, de la reconnaissance au mérite etc. »
Frein à la mobilité
L’autre grand reproche porte sur le frein ainsi mis à la mobilité inter-fonctions publiques. « Nous sommes en désaccord complet avec la proposition de gérer de façon différenciée le point d’indice. Cela n’est pas acceptable. C’est un des éléments structurants permettant la mobilité des agents. Si demain cela leur est retiré, ils n’auront plus de perspectives », défend Luc Farré, secrétaire général de l’UNSA Fonction publique. La CFDT n’est pas non plus favorable à la gestion différenciée du point d’indice car elle dresse « un obstacle de plus à la mobilité des agents entre chaque versant. Cela va à l’encontre de l’accord Parcours professionnels, carrières et rémunérations (PPCR), dont le calendrier a été questionné au conseil commun de la fonction publique », explique Mylène Jacquot, secrétaire générale de l’Uffa-CFDT. Pour Christian Grolier secrétaire général de l’Union interfédérale des agents de la fonction publique de Force Ouvrière, ce n’est tout simplement « pas une proposition qui se tient ».
Source de complexité et d’inégalités
De fait, « il faudra nous expliquer comment on fait », interroge Stéphane Pintre, président du syndicat des directeurs généraux des collectivités territoriales (SNDGCT) car « la différenciation du point d’indice pose un problème d’égalité entre les fonctionnaires ». « Le jour où le point d’indice sera augmenté dans l’hospitalière et pas pour les Atsem, cela va mal se passer », a de suite prévenu Philippe Laurent, président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT), également secrétaire général de l’Association des maires de France et maire (UDI) de Sceaux.
« Cela donnerait un poids prépondérant au régime indemnitaire car tout le monde ne fera pas évoluer le point d’indice de la même manière. »
Johan Theuret, président de l’association des DRH des grandes collectivités, y voit la « fausse bonne idée, séduisante sur le papier pour les employeurs territoriaux » mais source probable de « complexité car qui décide ? Laisse-t-on les employeurs décider par eux-mêmes, décide-t-on de fixer nationalement un point d’indice pour la FPT ? ». Sans parler des sources d’inégalités potentielles entre collectivités, entre fonctions publiques et donc de concurrence. « Cela donnerait un poids prépondérant au régime indemnitaire car tout le monde ne fera pas évoluer le point d’indice de la même manière », enfonce-t-il. « Chaque collectivité ne peut pas décider, pour Fabien Tastet, président de l’Association des administrateurs territoriaux (AATF). Le point, même s’il ne s’applique qu’à la FPT, doit être décidé au niveau national. Pourquoi pas par le Parlement » si cette piste devait se concrétiser.
Focus
Temps de travail : encore un rappel à l’ordre pour appliquer la règle
Il y avait eu le rapport Laurent de mai 2016, la circulaire sur le temps de travail 31 mars 2017. Il y a désormais le rappel à l’ordre du président de la République. Avec des termes alambiqués et sans prononcer là encore les expressions qui fâchent, Emmanuel Macron a tancé les collectivités en leur agitant sous le nez le travail de la Cour des comptes, lors de la Conférence des territoires : « Les heures travaillées ne sont pas totalement en conformité avec ce qui est prévu pour l’ensemble de la fonction publique ou ce qui est le cadre privé. Nous devons mettre fin à cette situation. Parce que c’est insupportable pour nos concitoyens qui ne sont pas fonctionnaires publics territoriaux et parce qu’on ne rend pas service à la fonction publique territoriale en protégeant des archaïsmes ». En clair, les collectivités doivent au moins appliquer la règle des 1607 heures annuelles. L’annonce a suscité peu de réactions car l’essentiel n’est pas là et aborder cette question sous cet unique angle apparaît bien réducteur. Par ailleurs, nombre de collectivités ont déjà fait ou sont déjà en train de faire l’effort de se « mettre en conformité ». Pour les plus récalcitrantes, certains acteurs de la territoriale ont toutefois vu dans cette annonce la menace d’une éventuelle future loi sur le sujet.