Publié le 29/01/2018 – • dans : A la une, A la Une RH, France, Toute l’actu RH
La Gazette des communes a organisé un débat sur la place laissée à la fonction publique territoriale dans le cadre du programme Action publique 2022. Avec en trame de fond l’inquiétude générée par la très faible présence de territoriaux au sein du Comité action publique 2022. Au-delà de ce comité, c’est toute la méthodologie d’AP 2022 qui suscite la colère des territoriaux. Un débat… vif !
En préparation d’un dossier à paraître prochainement dans la Gazette des communes, la rédaction a invité Véronique Bédague Hamilius (co-présidente du Comité action publique 2022, ou « CAP 22 »), Cendra Motin (Députée [LRM] de l’Isère et rapporteure spéciale pour le budget RH de la fonction publique), Stéphane Pintre (président du Syndicat national des directeurs généraux des collectivités territoriales – SNDGCT), Fabien Tastet (président de l’association des administrateurs territoriaux – AATF) et Johan Theuret (président de l’Association des DRH des grandes collectivités – ANDRHGCT).
Avant d’examiner les attentes des territoriaux sur l’avenir de la fonction publique territoriale tel qu’il se dessinera après « Action publique 2022 », le débat s’est cristallisé sur l’absence de représentation des territoriaux dans CAP 22 et sur la réalité de la concertation engagée par le gouvernement auprès des citoyens et des agents. Des échanges… vifs !
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Quel est l’objectif d’Action publique 2022 ?
Cendra Motin – Le gouvernement veut réformer l’intégralité des services publics, et examiner leurs relations avec les usagers. Les trois versants de la fonction publique sont donc questionnés, à la fois sur leurs missions, sur leur fonctionnement et leur adéquation à la société. Cette réflexion a commencé, avec la mise en place d’Action publique 2022, de son comité [d’experts], avec des actions sur le terrain et par internet. Concrètement, il s’agit de se demander quels sont les services publics qui font encore sens. Les agents sont interrogés, d’une part, sur le sens qu’ils attribuent à leurs métiers et au service public et, d’autre part, sur le changement radical de prisme que nous impulsons vers un État au service d’une société de confiance, pour parvenir à un service public qui accompagne et qui conseille.
Johan Theuret – Nous adhérons tous à l’idée de modernisation et de simplification de la fonction publique territoriale, notamment s’agissant de la gestion des compétences. Mais moderniser le statut, cela ne veut pas dire le supprimer. Le système de la carrière n’a pas montré toutes ses limites. Les fonctions publiques, depuis de très nombreuses années se sont transformées, du fait des réformes institutionnelles, de l’accélération de la digitalisation.
Cela étant, oui, il faut aller plus loin et s’interroger sur les relations avec les usagers et oui, il faut revoir profondément le management et sortir d’un système bureaucratique hiérarchisé pour redonner place aux agents, par le droit à l’erreur, le droit à l’initiative. Mais il ne faut ni le faire n’importe comment, et notamment de manière précipitée, ni dans un climat de défiance à l’égard des fonctionnaires ou en les braquant, en évoquant, par exemple, la décorrélation du point d’indice.
Quelle a été la commande faite au Comité d’experts CAP 22?
Véronique Bédague Hamilius – La commande faite au Comité action publique 2022, c’est d’imaginer le service public de demain. J’évite le terme de « modernisation », qui pourrait faire croire que la fonction publique ne sait pas évoluer. L’idée d’un service public qui ne bouge pas est une vue de l’esprit. Nous avons encore plus de deux mois pour travailler.
Depuis un an, je travaille dans une entreprise privée (ndlr : Nexity), après une trentaine d’années passées dans la fonction publique. Ce qui me frappe, c’est la rapidité qui imprègne les entreprises privées, même en respectant le dialogue social. La réalité, c’est que le management est plus difficile dans la fonction publique. Le mouvement est plus lent. Un manager public doit dépenser beaucoup plus d’énergie dans le système pour le faire bouger.
Notre enjeu, donc, c’est de trouver comment aider le manager public, dans le respect des droits des agents et de leurs conditions de travail. La question du statut arrive assez vite dans les discussions. A ce stade, nous entendons les deux écoles : l’une affirme que le statut est une garantie, notamment de neutralité ; l’autre pointe sa lourdeur et les difficultés de management qu’elle engendre.
Stéphane Pintre – La fonction publique est dans un mouvement perpétuel de modernisation et de réforme. Le statut a été modifié 33 fois en 30 ans ! Le terme de « modernisation » ne me paraît effectivement pas approprié. Réformer pourquoi pas, mais sur la base de deux préalables qui sont le maintien du statut et du principe du concours comme accès à la fonction publique.
Nous sommes ouverts à toutes les possibilités, mais avant de se précipiter dans une réforme du statut, il faudrait savoir, une bonne fois pour toutes, quels sont les services publics que les Français attendent, notamment au niveau des collectivités territoriales. Et ce, avant de leur demander qui, des agents ou du secteur privé, doit en assumer les missions. Une question qui se pose de façon d’autant plus en cette période de contraction des finances. Ne mettons pas la charrue avant les bœufs !
Fabien Tastet – Il faut se garder des images d’Epinal sur les agents publics et le statut. Un sondage [2] monté par l’AATF auprès des Français et des fonctionnaires territoriaux en février 2017, avait montré que les fonctionnaires sont ouverts à la discussion et des Français attachés et satisfaits des services publics locaux. Ce n’est donc pas la guerre des modernes contre les anciens, ni de l’inertie contre le mouvement !
Mais il y a un préalable, c’est la méthode. Certes, il est trop tôt pour juger de la réforme que le gouvernement entend mener de l’action publique et de la fonction publique.
Sur les 34 membres du comité CAP 22, on recense 15 hauts fonctionnaires d’Etat, contre aucun fonctionnaire territorial. Comment peut-on piloter une réflexion sur l’ensemble de la fonction publique et n’y associer aucun fonctionnaire territorial ?
S’agissant d’action publique 2022, catégoriquement, on n’emploie pas la bonne méthode ! Dans ce comité CAP 22, de 34 personnes, on y recense 15 hauts fonctionnaires d’Etat, contre aucun fonctionnaire territorial. Comment peut-on piloter une réflexion sur l’ensemble de la fonction publique et n’y associer aucun fonctionnaire territorial ? Où est la crédibilité du comité ? Le ver n’est-il pas déjà dans le fruit ? La moindre des choses, pour créer de la confiance, pour créer un climat favorable à la discussion, c’est d’associer des fonctionnaires territoriaux ! L’observatoire de la gestion publique locale, institué par la loi Notre, avait lui prévu une représentation des cadres de la territoriale, sous le format de l’Entente des territoriaux.
Cendra Motin – Le modèle est d’inspiration anglo-saxonne : on enferme dans une pièce des personnes qui auront toute liberté de repenser quelque chose qui n’est pas forcement de leur quotidien. Un brainstorming qui autorise toutes les folies, pas un comité d’experts. Un think tank extrêmement libre.
Le modèle est d’inspiration anglo-saxonne : un brainstorming qui autorise toutes les folies, pas un comité d’experts.
Stéphane Pintre – S’il ne fallait pas d’experts, pourquoi le comité est-il composé pour moitié de fonctionnaires d’Etat ?
Pourquoi ce choix dans la composition de CAP 22?
Véronique Bédague Hamilius – Au début, dans l’idée du Gouvernement, le comité, en lien avec les ministères, devait travailler sur les politiques nationales, ministère par ministère. Les choses ont déjà évolué. Nous avons depuis associé les représentants des régions et un groupe qui regarde les actions de l’Etat à partir des collectivités territoriales. Il s’agit d’éviter de n’obtenir que des jugements « macro » sur les collectivités. Il y a un rééquilibrage.
Cendra Motin – Une délégation aux collectivités territoriales a été créée à l’Assemblée nationale. Alors oui, le tempo est rapide. Il ne vous a pas échappé que nous avons un président de la République qui a l’intention de mettre en œuvre très rapidement tout son programme. C’est ce qu’attendent les Français. Le fait d’impliquer des usagers et des agents dans la réflexion sur le service public est une méthode qui fait sens. J’ajoute que la DGAFP, la RH de l’Etat, a lancé toute une série de consultations dans les territoires, sous forme de forums thématiques, pour aller à la rencontre des agents. Et en tant que députée, je vais très souvent sur le terrain. Et nous comptons dans nos rangs des élus territoriaux qui sont capables d’alimenter cette réflexion..
Johan Theuret – Je veux bien qu’on se mente et que l’on raconte cela ! Le discours de modernisation me convient. Mais la méthodologie que vous employez relève de l’ancien monde ! Le forum numérique a été consulté par moins de 40 000 personnes, et a recueilli seulement 3 200 contributions (sur 5,5 millions de fonctionnaires !).
Le forum numérique a été consulté par moins de 40 000 personnes, et a recueilli seulement 3 200 contributions (sur 5,5 millions de fonctionnaires !).
Les forums, dans les régions, ne font l’objet d’aucune communication, ni d’invitation. C’est très institutionnel. Tout est lancé à toute vitesse et vous annoncez une grande concertation. C’est faux !
Maintenant, vous vous apercevez que la territoriale n’est pas représentée, vous rajoutez des comités, des sous-groupes ! C’est bien la marque de la précipitation ! Alors oui, nous sommes parfois entendus par certains ministres. Mais sommes-nous écoutés ? Vous voulez allez vite, et cela génère des loupés ! Ecoutez les remontées de terrain et les fonctionnaires territoriaux, qui ne sont pas des sous-fonctionnaires par rapport aux fonctionnaires d’Etat.
Véronique Bédague Hamilius – Mon regard d’ancienne secrétaire générale de la ville de Paris ne manque pas, je pense, d’intérêt ! Nous avons une commande pour un rendu fin mars et les membres du comité s’investissent beaucoup. La tâche est importante et les membres fournissent un véritable effort.
Stéphane Pintre – Les mandats électoraux sont trop courts pour que l’on puisse envisager de réformer les fonctions publiques sur la base d’études et de consultations partielles et rapides. Si on n’élargit pas le spectre de la consultation, notamment sur la fonction publique territoriale, la méthode suivie est mauvaise, sans préjuger des propositions qui seront, au final, formulées. Il est dommage de prendre le risque, alors qu’il y a un large consensus autour de l’idée d’avancer sur tous ces enjeux, d’aboutir à des blocages…
Les mandats électoraux sont trop courts pour que l’on puisse envisager de réformer les fonctions publiques sur la base d’études et de consultations partielles et rapides.
Cendra Motin – Je trouve ce procès sur la méthode franchement très injuste. Il n’y a pas un autre gouvernement qui ait consulté les agents de manière aussi transparente, sur une réforme qui les concerne, et qui ait ainsi consulté les usagers. Et c’est à vous de nous aider à cette consultation et à obtenir plus de réponses. Notre méthodologie est celle qui est habituelle pour « En marche », et elle a porté jusqu’à présent ses fruits.
Je trouve ce procès sur la méthode franchement très injuste. Il n’y a pas un autre gouvernement qui ait consulté les agents de manière aussi transparente,
Stéphane Pintre – Les agents de la fonction publique territoriale ne sont pas consultés !
Cendra Motin – Je ferai remonter au ministre Olivier Dussopt vos demandes. Mais 40 000 contributions, c’est déjà significatif ! J’ajoute qu’on on ne peut obliger personne à participer.
Le travail accompli par le comité Action publique 2022 permet d’avoir un peu de hauteur. L’action de la DGAFP est essentielle, car elle permet de parler de formation et de qualité de vie au travail.
Stéphane Pintre – La DGAFP est sans doute très légitime… pour la fonction publique d’Etat !
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