C’est devant un auditoire nombreux et témoin de la parité femmes-hommes que Brigitte Laloupe est venue exposer les conclusions de son ouvrage et sur cet enjeu essentiel du travail.
Un débat riche et pertinent, très apprécié, si l’on en croit les commentaires qui ont suivi. Un succès pour cette XiXe livraison.
« Pourquoi les femmes gagnent-elles moins que les hommes ? », c’est la question à laquelle s’est attelée Brigitte Laloupe, coach de cadres dirigeants et diplômée de l’institut d’études politiques (IEP) de Grenoble. « Mon livre est plutôt centré sur les cadres, parce que c’est le milieu que je connais le mieux en tant qu’ancienne directrice d’Urssaf. Je constate que l’égalité femmes/hommes n’est toujours pas un sujet prioritaire, y compris au sein même des syndicats. Les choses avancent, mais pas aussi vite qu’on le voudrait ».
Et le constat est édifiant. La différence de salaire, entre les femmes et les hommes, atteint jusqu’à 27 %. Elles subissent le temps partiel, font moins d’heures supplémentaires, bénéficient de moins de primes, travaillent dans des filières différentes (relations, soins) de celles des hommes (fiances, production). « Sont-elles plus rémunératrices parce qu’il y a une majorité d’hommes ou est-ce que c’est parce qu’il y a une majorité d’hommes qu’elles sont rémunératrices ? Question sans réponse» déplore Brigitte Laloupe.
Pour elle, le plafond de verre reste une constante universelle et limite toujours l’accès des femmes aux plus hautes responsabilités. Les chiffres témoignent : 15 % de femmes au sommet des grandes entreprises ; 10 % dans la haute Fonction publique; 18% à l’Assemblée nationale et 22% au Sénat. « Dans la pyramide de l’organisation, à chaque étage on perd des femmes » ironise-t-elle. Si les lois se sont succédé depuis 1983 (loi Yvette Roudy sur l’égalité professionnelle), leur application ne suit pas et « aujourd’hui, pas une journée ne se passe sans qu’un colloque ou un forum sur le sujet ne se déroule en France », constate l’auteure. « Si les progrès avancent lentement, c’est que les mécanismes psychosociaux restent prégnants. Ils se mettent en place dès l’enfance et débouchent sur des stéréotypes classiques comme : les filles doivent être souriantes et les garçons fonceurs » commente-t-elle.
Ainsi, les hommes gardent le pouvoir dans l’entreprise. Ils jouent sur le « qui se ressemble s’assemble » et le sexe est un élément différenciateur. Ils sont donc plus à l’aise entre hommes, d’autant qu’ils ont la haute main sur le recrutement. Alors, l’autorité et le pouvoir se conjuguent toujours au masculin, marqués par des attributs spécifiques, mais il ne suffit pas aux femmes de reproduire leurs comportements pour prendre la place. Ainsi, pour un homme se mettre en colère est un moyen pertinent d’affirmer son pouvoir; pour une femme, la colère devient vite de l’hystérie ou de l’arrogance. «Le comportement des hommes, en entreprise, perdure alors que les femmes osent moins, sont plus attachées aux résultats qu’aux récompenses. Elles sont plus attentives aux autres et ont moins de problèmes de relations. Elles se sentent moins légitimes sur des postes d’autorité ou même scientifiques » conclut Brigitte Laloupe. Un préambule en forme de constat qui suscita de multiples interventions.
Les lois sur l’égalité ne sont pas appliquées
Il s’agit tout d’abord de la remise en question d’un certain déterminisme sexué. «Les hormones ont bon dos, elles nous enferment dans la logique binaire des genres qui est un système social et une construction ». Et on s’interroge pour savoir pourquoi la domination masculine fait partie des grandes constantes de l’humanité et sur la différenciation sexuée qui «n’est pas une chose naturelle, mais induite par l’éducation».
Pour Brigitte Laloupe, l’innée et l’acquis sont étroitement liés. Ainsi, à l’issue d’un match de tennis, le vainqueur voit grimper son taux de testostérone. L’hypothèse est que la victoire fait monter le taux. A l’inverse, les jeunes pères qui s’occupent de leur enfant présenteraient un taux de testostérone faible. Le comportement, induit la différence hormonale et pas l’inverse. Les expériences d’éducation non-genrée restent anecdotiques. Elles ont échoué en URSS et dans les kibboutz. Les résultats semblent même contre productifs. Mais pourquoi les femmes devraient-elles être les seules à se remettre en question? s’interroge-t-on. « Effectivement, seules les femmes semblent considérer que les écarts de salaires entre elles et les hommes les concernent, constate Brigitte Laloupe. Mon livre tente une réponse. C’est une incitation à prendre les choses en main. Arrêtons de nous faire passer pour des victimes et à nous limiter nous-mêmes. J’ai même proposé dans les entreprises des séances de leadership féminin qui font un tabac ». Affirmation vraisemblablement exacte, mais la non application des lois successives posent quand même un problème et si le comportement des femmes peut être mis en cause, c’est aussi le cas des « politiques » qui traînent les pieds. « Face à la non application des lois sur l’égalité, les quotas restent, malgré tout, pour le moment indispensables. Le leadership masculin sera vraiment remis en cause qu’avec la parité effective » répond Brigitte Laloupe.
Alors ne faudrait-il pas des sanctions, si les lois ne sont appliquées car les femmes sont en grande majorité dans les toutes petites entreprises où les syndicats n’ont pas forcément les moyens d’emmener le patron au pénal? Les syndicats ne se saisiraient-ils pas de la question et les négociations sur l’égalité ne seraient-elles pas suffisamment préparées? « Il y a peu de campagne de revendications, car ce n’est pas encore naturel. Il faut faire partager au plus grand nombre ce qui est un enjeu de classe. Il faut mobiliser tout au long de l’année. Est-ce un vœu pieux ? » s’interroge un intervenant. Mais est-ce que les syndicats ne perpétuent pas un type de fonctionnement dont on voudrait se débarrasser dans l’entreprise ? La question mérite d’être posée. L’approche égalitaire ne résoudra pas le problème, soutient un autre intervenant. On a plus intérêt à travailler sur l’intégration de l’équité dans l’entreprise. Quelles revendications porter pour des constats qui datent de 20 ou 30 ans? Quels mécanismes imposer? « Il faut revendiquer dans l’entreprise et démontrer aussi que les équipes mixtes sont plus efficaces. Alors pourquoi, ça ne marche pas ? s’interroge un autre intervenant. C’est parce que les femmes sont victimes de discrimination indirecte liée au comportement : critères de disponibilités, l’implication, l’adhésion aux valeurs de l’entreprise».
Brigitte Laloupe préconise de travailler d’abord sur la parentalité et non sur la maternité, tout en soulignant que les femmes, notamment les cadres sans enfant sont aussi pénalisées parce que, jeunes elles présentent le risque de la maternité. « Il faut demander des congés paternité identiques aux congés maternité. Il faut aussi permettre aux pères de s’occuper des enfants à l’école, Il y a une demande » constate-t-elle. Reste que la demande de temps partiel pour un homme, notamment pour un cadre, est difficile voire rédhibitoire. Une démarche perçue comme une moindre motivation, alors que pour une femme, elle reste acceptable. « En entreprise, il faudrait aussi arrêter de confondre le présentéisme avec l’efficacité, prévient notre invitée. Si, aujourd’hui, il y a moins de réunions après 17 heures, il n’empêche qu’il reste plus sérieux de travailler jusqu’à 20 heures. Cependant, les plus jeunes adoptent une autre attitude. Ils ont besoin de temps, ils font de la musique, du sport. Il faut sans doute attendre le changement de génération» sous entendu pour que les conditions du changement deviennent plus favorables.
Que penser cependant des accords de branche ou d’entreprise sur la parentalité alors que l’on ne parle plus d’équilibre vie professionnelle et vie familiale, mais d’articulation des temps? Est-ce un raccourci de l’égalité ? Est-ce qu’il ne faudrait pas l’exclure des négociations et en faire un chapitre à part entière? « On a effectivement l’impression qu’une fois que l’entreprise s’est emparée de la parentalité, elle a fait quelque chose d’essentiel pour l’égalité. Mais ça ne suffit pas », affirme Brigitte Laloupe.
Les syndicats ne portent pas assez l’égalité hommes-femmes
N’oublions pas qu’à l’origine l’entreprise s’inspire de l’organisation militaire et en économie tous les mots viennent du vocabulaire guerrier. Et l’isolement du combat féministe du reste de l’histoire, pendant longtemps, est assez symptomatique d’un état d’esprit. Toutes les études de l’UGICT démontrent que les femmes tiennent à leur RTT, à la journée. Cependant, depuis les accords interprofessionnels sur l’égalité hommes/femmes, la loi régresse, elle n’est pas appliquée. L’UGICT demande la parité salariale à l’embauche, c’est d’ailleurs une orientation du Congrès de Vichy. Il faut savoir qu’à Bac+2, le niveau de qualification des femmes est supérieur à celui des hommes. « Ca fait 15 ans que ça dure et on n’ose pas porter cette revendication là. Il faut croire en l’accélération du temps, mais il faut qu’on l’aide pas mal » précise Jean-François Bolzinger. « Je ne suis pas pour les quotas, interpelle une militante des services publics. Il faut se battre, avant tout, sur la reconnaissance des qualifications, sur la charge de travail et le temps partiel. Mais on ne va jamais au bout des textes de loi qui concernent l’égalité ou encore sur la question des seniors.
On peut signer un protocole d’accord sur l’égalité, mais si l’employeur récupère sur le salaire des hommes que fait-on ? Il faut changer de mentalité de regard par rapport au travail dans son ensemble ». « Les syndicats ne portent pas assez l’égalité hommes-femmes, sauf au moment des revendications sur les retraites, constate Brigitte Laloupe. En outre, la reconnaissance des qualifications ne suffit pas. Quant à la part variable du salaire, les femmes revendiquent moins. Mais parmi les pistes d’action le recours en justice gagne à tous les coups avec le dispositif d’étude de panel sur la différence de carrière »1. Tout le monde s’accorde à dire que « Quand on donnera un niveau de salaire en fonction de la qualification quel que soit le genre on aura arrêté la discrimination et on l’arrêtera par rapport aux filières ».
En conclusion de cette soirée-débat, Jean-François Bolzinger rappelle que l’UGICT travaille sur la crise actuelle à partir de la financiarisation de l‘économie, en creusant la question Wall street management, d’un management aux ordres des actionnaires et des bourses. Il s’agit de définir une alternative. Parmi les moteurs de l’évolution à venir: l’arrivée des jeunes générations et des femmes. Le mode de management évoluera s’il y a parité et mixité. La question de l’égalité, à tous les niveaux, donne un supplément d’âme. Pour sortir de la crise, il faut définanciariser le travail, ré-humaniser l’entreprise. La question de l’égalité femmes/hommes est décisive.
1 La méthode Clerc : François Clerc, syndicaliste CGT, a élaboré une méthode qui, en cas de discrimination salariale, consiste à replacer le salarié dans la situation qu’il devrait connaître, si son évolution avait été comparable à celle des autres salariés, toutes choses égales. Elle fait autorité et marque des points en Cour de Cassation.
L’inégalité des retraites
Il y a déjà une vingtaine d’années l’Agirc a publié une étude extrêmement probante. Les chercheurs ont comparé la situation des hommes qui touchaient des majorations familiales avec celle des femmes. Concernant les hommes, toutes choses égales par ailleurs, il n’y avait aucune différence : tous touchaient les mêmes pensions. Concernant les femmes, elles touchaient 1/3 en moins dès lors qu’elles avaient des enfants, même si elles n’avaient pas cessé le travail, leurs carrières étaient pénalisées. Brigitte Laloupe : « Les hommes qui ont beaucoup d’enfants occupent des postes élevés dans la hiérarchie alors que c’est l’inverse pour les femmes. Il est plutôt prestigieux d’avoir beaucoup d’enfants pour un homme. C’est un frein pour les femmes ».
«Pourquoi les femmes gagnent-elles moins que les hommes. Les mécanismes psychosociaux du plafond de verre» par Brigitte Laloupe. Editions Pearson.156 pages. Septembre 2011. Prix:19 euros.