Conception – réalisation : Espace Information et Communication de la CGT — SC — 22-01-2019
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La démarche de reconquête de la Sécurité sociale implique un engagement de toute la CGT sur le champ complémentaire car dans ce domaine des changements majeurs sont à l’œuvre.
Un processus de reconquête de la Sécurité sociale à 100 % passe par une maîtrise des évolutions du champ de la protection sociale complémentaire.
Il s’agit également d’un terrain où mener la bataille sociale et des idées pour réaffirmer le rôle fondamental de la Sécurité sociale et, à ce jour, une stricte complémentarité, quand la Sécurité sociale ne couvre pas les dépenses, des autres intervenants de la protection sociale.
Pour rappel :
Au xviiie siècle, la naissance de la mutualité exprime un besoin de solidarité et d’égalité face aux aléas de la vie et aux nécessités quotidiennes. Le succès de cette ambition fait qu’à la fin du xixe siècle il y aura 3 millions d’adhérents.
Dans le même temps, les premières sociétés capitalistes d’assurances se constituent – car elles sont conscientes d’un marché à venir – pendant que l’État républicain donnera des statuts aux mutuelles.
En 1945, le programme du Conseil national de la Résistance crée le régime de Sécurité sociale, pensé comme universel et confié aux forces syndicales. Mais cette généralisation est très vite contestée par diverses catégories sociales, attachées à leurs régimes particuliers. Si les mutualistes adhèrent aux grandes lignes du projet, ils rejettent en revanche le principe de la caisse unique impliquant la suppression de leurs caisses. Un compromis est trouvé : la Mutualité reconnaît formellement la Sécurité sociale et, en contrepartie, elle obtient le droit de gérer certains de ses organismes. Par exemple, les grandes mutuelles de la fonction publique récemment créées mettent à profit ce droit délégataire grâce à la loi du 9 avril 1947.
Aujourd’hui, les directives « assurance européenne » impliquent des contraintes fortes en matière de ratios de solvabilité et d’affectation des ressources. À ce titre, face aux mêmes exigences de solvabilité, la question du« but lucratif ou non lucratif » est obérée. De plus, face à la concurrence des assureurs privés, les mutuelles sont de plus en plus acculées et abandonnent leur positionnement originel de solidarité et d’égalité pour adopter leurs pratiques : transformations des groupes, adossement, fusions, tarification en fonction du risque et non des revenus, abandon de la solidarité intergénérationnelle ou intercatégorielle…
Face à tous ces phénomènes, la CGT doit développer et renforcer son engagement sur le champ complémentaire, car :
• les cotisations des salariés et fonctionnaires sur la prévoyance représentent près de 30 milliards d’euros, il faut donc que le syndicat s’intéresse et suive l’utilisation de ces cotisations qui représentent, par exemple, plus que le budget de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (25,1 milliards d’euros en 2018). Celles-ci devraient augmenter en 2019 du fait de la réforme connue sous le nom de réforme du
« reste à charge zéro » ;
• le développement des contrats collectifs sous forme de contrats dits responsables et imposés par la réglementation dans le privé et les procédures de référencement dans la fonction publique d’État a pu renforcer le rôle et l’intervention des syndicats à la fois dans l’amélioration, l’obtention de nouveaux droits sociaux et la défense des niveaux de protection sociale complémentaire des salariés et agents et dans les choix des organismes assurant les régimes de branches professionnelles, d’entreprises et de la fonction publique ;
• notre corps militant est déjà engagé dans le domaine de la protection sociale : près de 200 militants de la CGT négocient des accords collectifs dans les branches professionnelles, plusieurs milliers au niveau des entreprises, ministères, administrations et collectivités locales et plus de 300 sont présents dans les organes de gouvernance et décisions des organismes complémentaires non lucratifs (mutuelles et groupe de protection sociale).
REPÈRES : LES TROIS FAMILLES D’ORGANISMES COMPLÉMENTAIRES
Les risques de prévoyance sont assurés par des organismes complémentaires qui prennent en charge 13,2 % des dépenses de santé, et donc que financent les salariés et fonctionnaires au travers des cotisations qu’ils versent à ces organismes, en complément ou non de la participation de leur employeur, selon qu’ils exercent dans le privé ou dans le public.
Ces organismes complémentaires sont composés d’une part des organismes non lucratifs et d’autre part des organismes lucratifs.
LES ORGANISMES NON LUCRATIFS
LES MUTUELLES
Elles fonctionnent selon les principes suivants :
• la démocratie : une personne = une voix, indépendamment du nombre de contrats souscrits ou de leur importance ;
• la non-lucrativité : elles appartiennent à leurs adhérents et n’ont donc pas d’actionnaire à rémunérer.
Les mutuelles ont été créées avant la mise en oeuvre de la Sécurité sociale en 1946. Certaines d’entre elles ont continué à gérer par délégation le régime obligatoire de la Sécurité sociale, notamment les mutuelles de fonctionnaires et étudiantes. Elles sont confrontées aujourd’hui à un mouvement de rapprochements. Elles ont fondé au fil des années de nombreuses réalisations sanitaires et sociales. Certaines d’entre elles proposent des contrats collectifs en prévoyance, au-delà de la santé.
LES INSTITUTIONS DE PRÉVOYANCE
Elles fonctionnent selon les principes suivants :
• le paritarisme : les représentants des employeurs et salariés adhérents à l’institution de prévoyance composent à parité les conseils d’administration ;
• la non-lucrativité : elles appartiennent à leurs adhérents et salariés affiliés et n’ont donc pas d’actionnaires à rémunérer.
Les institutions de prévoyance sont l’émanation des caisses de retraite qui ont été fondées à l’origine sur une base professionnelle ou territoriale. Historiquement, l’activité de prévoyance lourde (risques d’arrêt de travail, d’invalidité et de décès) a été créée pour éviter une perte de revenu du foyer en cas d’arrêt de travail ou de décès du salarié ou agent.
En raison de leurs caractéristiques (démocratie mutualiste, participation à la gouvernance, proximité avec les branches professionnelles, non-lucrativité et absences d’actionnaires), la CGT les privilégie par rapport aux organismes lucratifs.
LES ORGANISMES LUCRATIFS
Il s’agit des compagnies d’assurances, sous forme de sociétés anonymes, souvent qualifiées « d’assureurs ». Elles appartiennent à leurs actionnaires, qui sont rémunérés par des dividendes prélevés sur les bénéfices, au détriment des salaires et conditions de travail de leurs salariés, ou d’une amélioration des prestations et/ou de l’investissement des excédents dans l’entreprise.
En 2017, les 500 mutuelles assuraient en volume 41,3 % de l’activité de complémentaire santé mais en diminution régulière au profit des 280 compagnies d’assurances qui représentent 32,4 % du total contre 26,3 % pour les 36 institutions de prévoyance – dont le poids demeure relativement stable.
LE RÔLE ET LA PLACE DU CHAMP COMPLÉMENTAIRE PAR RAPPORT À LA SÉCURITÉ SOCIALE
LA PRIMAUTÉ DE LA SÉCURITÉ SOCIALE (cf. fiches précédentes)
L’assurance maladie (Sécu à 100 %) doit non seulement conserver mais aussi regagner son rôle fondamental dans la réponse aux besoins de santé des assurés sociaux et ainsi mettre un terme à sa marchandisation croissante :
• caractériser pour certains par la dissociation entre risques lourds et petits risques ne repose sur aucuns fondements médicaux ou économiques ;
• assumer pleinement un rôle politique de contrôle dans la négociation des tarifs : l’assurance maladie doit être compétente pour négocier les tarifs et les services applicables aux relations entre organismes complémentaires et professionnels de santé, hôpitaux et établissements de santé. Il faut réguler une pratique des grands groupes qui négocient des tarifs et services plus favorables à leurs seuls adhérents en raison de leur poids, et ainsi favorisent une forme de « dumping social » ;
• assumer pleinement son rôle dans les négociations conventionnelles avec les professionnels de santé et agir de concert avec l’Unocam – représentant les familles de complémentaires ;
• Assumer pleinement son rôle d’alerte, compte tenu des masses d’informations qu’elle détient et ce pour permettre de lutter contre les dérives de certains professionnels et industriels de santé ;
• la bataille politique doit être menée auprès et dans les organismes complémentaires :
−− améliorer la maîtrise, par les militants CGT, du champ complémentaire pour mieux argumenter politiquement, financièrement et techniquement la logique de solidarité mise en oeuvre au sein de l’assurance maladie et de stricte complémentarité avec celle-ci,
−− pointer les éléments qui pourraient politiquement et économiquement être intégrés à la Sécurité sociale 100 %.
LES COMPLÉMENTARITÉS AVEC L’ASSURANCE MALADIE
EN MATIÈRE DE PRÉVENTION
Les organismes complémentaires bénéficient de deux atouts incontestables : la proximité – quand elle a été préservée – et une connaissance plus fine des besoins des personnes couvertes.
Ces atouts peuvent leur permettre de réaliser des actions de prévention en complément des plans nationaux mis en oeuvre par l’assurance maladie : soit sur des risques non pris en compte, soit dans un prolongement territorial ou au niveau des branches professionnelles ou dans la fonction publique.
Néanmoins, leurs actions ne doivent pas dédouaner les employeurs de leur responsabilité et leur obligation de résultat en matière de santé au travail des salariés et agents, ni se limiter à de simples campagnes de communication.
EN MATIÈRE D’ACCÈS AUX SOINS
La mutualité et les groupes de protection peuvent favoriser une complémentarité avec l’assurance maladie pour faciliter l’accompagnement des assurés sociaux dans le système de santé grâce à leur réseau de réalisations sanitaires et sociales :
• 470 centres dentaires ;
• 390 centres d’auditions ;
• 600 établissements médico-sociaux (Ehpad, services de soins à domicile…).
AU NIVEAU TARIFAIRE
L’implantation de centres de santé non lucratifs, tel que les opticiens mutualistes ou Ehpad, a un effet positif sur les tarifs pratiqués en les diminuant par exemple de 10 % en moyenne sur l’optique, grâce aux prix inférieurs pratiqués par ces centres. Les cliniques mutualistes doivent aussi être soutenues lorsqu’elles fonctionnent sans dépassements d’honoraires de la part des professionnels de santé.
De la même manière et à défaut de prise en charge Sécu, les réseaux de soins organisés par les complémentaires ont pu permettre de faire baisser les tarifs de vente et une prise en charge en tiers payant des frais de santé notamment en matière d’optique.
EN MATIÈRE D’INNOVATION
Les mutuelles et les institutions de prévoyance ont pu être précurseures dans le domaine de la santé :
• pour les mutuelles : revendication du droit à l’IVG, soutien à la pratique de l’avortement illégal, remboursements de la pilule, financement de cliniques et centres de santé mutualistes ;
• pour les institutions de prévoyance : prise en charge de risques non pris en compte ou mal pris en charge par la Sécurité sociale (soins contre la carie ou l’asthme du boulanger, indemnité de cessation anticipée d’activité dans le transport, indemnisation de l’arrêt de travail mutualisé au niveau des branches professionnelles).
Ces innovations et expérimentations doivent être analysées pour trier entre ce qui est de la responsabilité patronale et de la prise en charge par l’assurance maladie pour être intégré à la Sécurité sociale.
EN MATIÈRE DE DÉMOCRATIE
La CNAM et les CPAM n’ont plus de conseil d’administration mais des conseils où les mandatés CGT n’ont plus qu’un vote indicatif basé sur les orientations et le contrôle de celles-ci. Le pouvoir de gestion et d’administration étant du seul domaine des directions…
Les administrateurs des groupes de protection sociale et mutuelles ont plus de pouvoir d’agir que ces conseillers lorsqu’ils assument pleinement leurs responsabilités et leurs pouvoirs.
Dans les mutuelles, il y a encore un processus électoral, contrairement aux désignations dans les groupes paritaires de protection sociale (GPS) ou dans les organismes de Sécurité sociale (sauf MSA qui a conservé les élections).
L’existence de ces processus démocratiques et le pouvoir des administrateurs doivent être des points d’appui pour reconquérir une Sécurité sociale démocratique dans son fonctionnement. Ce qui est possible ici doit l’être partout.
ENGAGER LE PROCESSUS DE RECONQUÊTE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE VIA LES ORGANISMES COMPLÉMENTAIRES
La CGT doit mener une « double besogne » en engageant à la fois le processus de reconquête de la Sécurité sociale à 100 % et porter l’exigence d’une Sécurité sociale du xxie siècle en tant qu’objectif politique. Elle doit défendre au quotidien les intérêts de tous les salariés et fonctionnaires et de leurs familles.
En conséquence, il s’agit pour nous :
• de mener la bataille culturelle et des idées pour aller vers le 100 % Sécurité sociale, que ce soit dans les organismes complémentaires où nous sommes représentés ou dans les cadres collectifs proposés par les acteurs de la protection sociale ;
• de privilégier les organismes complémentaires non lucratifs (mutuelles et institutions de prévoyance), tout en conservant un regard critique et exigeant sur leurs orientations et fonctionnement, par rapport aux compagnies d’assurances qui rémunèrent des actionnaires ;
• d’assumer pleinement notre rôle et notre place dans les organismes complémentaires par rapport aux autres confédérations syndicales avec lesquelles des désaccords demeurent au niveau des orientations ;
• d’être porteur de propositions et d’innovations dans la réponse aux besoins des populations et dans l’organisation du système de santé ;
• de maîtriser le fonctionnement et les évolutions du champ complémentaire pour y imprimer notre stratégie syndicale ;
• de défendre les intérêts des salariés au niveau :
−− des milliers de militants qui négocient dans les accords de branche, d’entreprises : des garanties de haut niveau avec une prise en charge patronale élevée,
−− des centaines de militants qui sont élus dans les mutuelles et groupes de protection sociale ;
• d’informer, former et coordonner les militants investis dans le champ de la protection sociale en lien continu avec les organisations de la CGT.
La reconquête de la Sécurité sociale est une démarche globale qui réinterroge le rôle, la place, le sens et la finalité tant de la Sécurité sociale que des complémentaires. C’est cette dynamique revendicative qui doit être portée dans le débat public et au niveau des organismes de sécurité sociale santé et complémentaire.