4 septembre 2019 à 20:46
—
Vers la version en ligne : ici
Pour Philippe Martinez de la CGT, la réforme des retraites voulue par Emmanuel Macron propose un système individualisé sans réfléchir à la solidarité et à la pénibilité.
Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT, sonne l’alerte sur une réforme qui «ne fera que des perdants». Depuis le début de la concertation, il enrage de ne pas être écouté. Vendredi, il sera reçu à Matignon pour parler – encore – des retraites. Sans trop y croire.
A lire aussi Retraites : la réforme a un petit coup de flou
Quel est votre état d’esprit ?
Ça fait dix-huit mois qu’on discute et on nous dit qu’il va y avoir une nouvelle phase ! On va voir quelle est la position du gouvernement. Jusque-là, c’est très flou. A un moment, quatre ministres sont intervenus pour dire tout et son contraire, et Delevoye disait encore autre chose.
Emmanuel Macron a promis une «nouvelle méthode» basée sur de la «proximité» et de l’«humilité». Vous y croyez ?
Le 11 décembre, il nous a déjà affirmé qu’il avait changé. Pourtant, le 31 décembre, il disait «on continue». Espérons que le changement, c’est pour vendredi, sur les retraites.
L’avez-vous revu récemment ?
Non, pas depuis le 11 décembre, pour le lancement du grand débat.
Laurent Berger a, lui, rencontré le Président. Vous n’avez pas peur que cette réforme se joue entre la CFDT et le gouvernement ? Et d’en être spectateur, maintenant que vous n’êtes plus le premier syndicat ?
Peur n’est pas le bon mot. On nous reproche de ne pas vouloir discuter, mais on n’est pas invités ! En tête-à-tête, Macron, je l’ai vu pour la dernière fois en juin 2017. On n’est plus le premier syndicat, certes, mais on est encore bien présents dans le paysage, notamment quand il y a des mouvements sociaux.
Tout de même, en laissant entendre qu’il revenait sur l’âge pivot, le chef de l’État a montré qu’il était à l’écoute de la CFDT…
Ce qu’a dit le Président, c’est un non-événement. Tout le monde a compris qu’il y avait un loup derrière la question de l’âge pivot et cela commençait à grogner. Le Président a donc changé son angle de tir. Laurent Berger dit «on se félicite, il n’y a plus d’âge pivot». Mais «jouer» sur le nombre de trimestres qu’il faudra avoir cotisé pour partir en retraite, comme l’a dit le Président, c’est très flou. Je ne crois pas que le gouvernement annonce une réduction du nombre de trimestres nécessaires, mais plutôt une hausse. Ce qui reviendra à faire partir plus tard les gens à la retraite, quel que soit l’âge auquel ils ont commencé à bosser. Ça ne change rien, c’est de la communication.
Cette réforme des retraites, il n’y en avait pas besoin?
Notre système a été créé en 1945, entre-temps le monde du travail a changé. Il faut le faire évoluer, tout en gardant son socle, car c’est le modèle le plus juste au monde, basé sur la solidarité. Mais le gouvernement veut le changer complètement. Quand Laurent Berger se réjouit du maintien du principe de répartition, il se trompe. Ce qui nous est proposé, c’est un système individuel dans lequel chacun va travailler pour lui. Aujourd’hui, ce sont les générations au travail qui cotisent pour les générations qui ont travaillé, en prenant en compte les diversités de situation. C’est ça la solidarité ! Je cotise selon mes moyens, je reçois selon mes besoins. Avec la réforme, si vous ne cotisez pas, vous n’avez rien…
La CGT rejette le système par points. La CFDT y voit un moyen de progrès social. Comment expliquer cette divergence ?
Laurent Berger évite certains sujets. Par exemple, la réforme prévoit une prise en compte de toute la carrière pour calculer le niveau de la pension, au lieu de regarder, comme aujourd’hui, les 25 meilleures années. Plus on élargit le calcul, plus on risque de voir baisser les pensions, notamment pour les carrières hachées. Aujourd’hui, les jeunes commencent par des petits boulots, et ça va compter dans le calcul.
Et que propose, alors, la CGT ?
Il faut réfléchir aux carrières longues et à la pénibilité. On ne répondra pas à ces enjeux en augmentant le nombre de trimestres nécessaires pour partir en retraite à taux plein. Pire, en obligeant les gens à travailler plus longtemps, on va réduire l’espérance de vie. Le gouvernement prend les choses à l’envers. La pénibilité, c’est une question de solidarité. C’est à cela que répondent les régimes spéciaux. Il faut les conserver, même les élargir. Pour tous ceux qui ont des emplois pénibles, travaillent la nuit, il faut compter les trimestres autrement. Avec cette réforme, on essaye aussi d’opposer les cadres aux autres. Je ne vois pas pourquoi quelqu’un qui a fait cinq ans d’études ne pourrait pas partir à 60 ans à la retraite, car il n’y a pas que le boulot dans la vie. La CGT propose qu’une partie des études donne droit à des trimestres.
Le gouvernement promet pourtant plus d’égalité avec cette réforme…
C’est démagogique de dire que ce système va augmenter les pensions des femmes. Pour cela, il suffit de les payer autant que les hommes pendant qu’elles travaillent. C’est une priorité du quinquennat, mais ça n’a pas bougé. De même, si au lieu d’envoyer les seniors au chômage, on les laissait au boulot, cela permettrait d’avoir des cotisations sociales en plus. Les grandes entreprises, par des ruptures conventionnelles, renvoient à la société les salariés dont elles ne veulent plus. Conforama va le faire, Castorama et Tati aussi, tout le monde le fait, mais on ferme les yeux, au nom de la compétitivité, des marges.
Cela suffit-il à régler la question du financement des retraites ?
Il faut aussi réfléchir à de nouvelles entrées de cotisations, en augmentant les salaires et en supprimant des exonérations de cotisations des employeurs. Vu les dividendes versés aux actionnaires, il ne doit pas y avoir de problème de trésorerie dans les grandes entreprises !
L’entrée de Delevoye au gouvernement, c’est une bonne chose ?
C’est un homme politique d’expérience qui a déjà géré une réforme de retraite, en 2003, sous Fillon. Mais n’oublions pas qu’il avait alors contribué à casser le régime par répartition. Quand Emmanuel Macron nous dit «il faut un monde nouveau», avec Delevoye, qui a 72 ans, on est servis.
Le Président a annoncé une concertation citoyenne sur les retraites. Qu’en pense la CGT ?
Les citoyens ont des choses à dire, à condition que ce soit un vrai débat équilibré. Si c’est encore le show, comme pour le grand débat, ça ne fonctionnera pas. Il faut des débats contradictoires et transparents.
Ça arrive après dix-huit mois de concertation. Un peu laborieux ?
C’est la stratégie du gouvernement qui est laborieuse. Ça fait dix-huit mois qu’on bosse, on n’a raté aucune réunion. Et pourtant, Delevoye n’a retenu aucune de nos propositions. Est-ce qu’on va maintenant repartir de zéro ? Si c’est ça, la CGT a des propositions. Si on nous dit «on vous écoute», mais que le rapport Delevoye reste la base, ça ne sert à rien.
Si on repart d’une feuille blanche, vous annulez votre manifestation du 24 septembre ?
Pourquoi pas. Mais je n’y crois pas trop… L’expérience nous montre que si on ne secoue pas un peu le cocotier, on n’obtient rien.
Mais comment mobiliser ?
On ne le secoue pas assez fort, c’est vrai. On n’est pas assez en phase avec la diversité du monde du travail. Le mouvement des gilets jaunes a été révélateur de nos déserts syndicaux.Quand une entreprise externalise ses compétences, les salariés s’en vont. Mais les syndicats ne suivent pas toujours. Il faut veiller à ce que le drapeau reste planté.
Faut-il aussi revoir les modes d’action ?
Quand les gilets jaunes occupent les ronds-points, font des merguez, les commentateurs disent que c’est remarquable, que c’est l’horizontalité. Et quand c’est nous, c’est ringard. Ça commence à me fatiguer ! Je fais confiance aux salariés pour trouver des formes de mobilisation. Mais le plus efficace, partout dans le monde, c’est d’arrêter de travailler, tous, en même temps.
D’accord, mais quand on regarde l’agenda des mobilisations, FO se mobilise seul, le 21 septembre. Solidaires ne s’est pas associé à votre manif du 24 septembre…
Ça n’empêche pas qu’on travaille ensemble. Avec les syndicats, mais aussi les organisations environnementales. Nous serons d’ailleurs aux grèves pour le climat. Et d’ici le 24, il reste du temps… D’autres syndicats appellent déjà à se mobiliser ce jour-là.
De même, la RATP va manifester de son côté, EDF et les finances publiques aussi…
C’est ce qu’il faut qu’on règle à la CGT. On doit pouvoir se mobiliser ensemble, en prenant en compte la diversité des revendications. Mais ça coince encore… Le monde du travail est divisé, morcelé, et le gouvernement cultive ces oppositions : pour eux, on est toujours le privilégié de quelqu’un. Il ne faut pas que l’on tombe là-dedans, parce que la réforme des retraites, par exemple, va toucher tout le monde.