Vers la version PDF : ici
Avenir des retraites, à quelle sauce…
Le débat public, tel que mené par l’exécutif et la majeure partie des commentateurs reste structuré par un certain nombre de fausses évidences qui ont en commun le fait de contourner la question centrale du financement.
Parmi les lieux communs ainsi mobilisés on ne résiste pas à citer le « Il faut bien évidemment reculer l’âge de départ à la retraite puisque l’espérance de vie est plus grande ! M’enfin, il faut avoir un QI de bulot pour ne pas comprendre cela ! » d’un Luc Ferry, philosophe recyclé de façon hasardeuse en spécialiste du gastéropode gris ambré… Bulot ou pas bulot, l’idée générale est qu’il ne servirait a rien de financer les retraites car cela ferait baisser le pouvoir d’achat des salaires et / ou diminuerait la compétitivité des entreprises. Or, aucune de ces deux considérations ne résiste à l’analyse.
Partons du principe que « qui peut le plus, peut le moins » et posons la question : quel serait l’impact sur l’évolution du pouvoir d’achat des actifs et sur l’évolution des profits d’un accroissement des ressources affectées au financement des retraites tel que, dans 25 ans la population des 60 ans et plus serait tout entière à la retraite et qu’elle disposerait exactement du même niveau de vie moyen que la population dite « active » ?
On sait que les prochaines décennies vont être marquées par des évolutions démographiques liées au papy boom et aux gains d’espérance de vie. Selon l’INSEE1 la population « active » (personnes en âge d’être actives, qu’elles soient ou pas en emploi) restera stable : 33,4 millions de personnes à l’horizon 2045. La population des 60 ans et plus augmentera significativement, de 36 % pour s’établir à 23,5 millions. Quant aux moins de 20 ans, leur effectif serait également stable, avec 16,2 millions de jeunes.
Dans ces conditions, quelle part de la richesse nationale (le produit intérieur brut) faudrait-il consacrer au financement des retraites pour égaliser en moyenne les niveaux de vie entre ces deux populations ?
Pour l’évaluer, la démonstration qui suit adopte délibérément les modes de raisonnement les plus favorables aux partisans du financement impossible.
En particulier, le partage du PIB entre rémunération du travail et profits (rémunération du capital) resterait conforme à celui observé en moyenne depuis près de 4 décennies, avec 60 % du PIB qui iraient à la rémunération du travail et 40 % du PIB qui iraient aux profits.
Pour évaluer ce besoin de financement, il faut donc répartir les 60 % du PIB de 2045 allant à la rémunération du travail, entre « actifs » et « retraités », au prorata de leurs poids respectifs.
Ce partage, pour permettre le même niveau de vie moyen « par tête », doit tenir compte du fait que la population des « jeunes » (0-19 ans) est à la charge de celle dite « active ».
Chaque « jeune » de moins de 20 ans sera décompté comme une demi « unité de consommation ».
Il s’ensuit que le niveau de vie moyen d’une population de 33,4 millions d’individus adultes ayant à sa charge 16,2 millions de « jeunes » de moins de 20 ans est le même que celui d’une population de 33,4 millions d’individus adultes augmenté de 8,1 millions d’unités, soit donc 41,5 millions de personnes adultes au total.
Il s’agit donc de partager en 2045, les 60 % du PIB allant à la rémunération du travail, entre les « actifs » et les retraités au prorata de leurs poids respectifs appréciés en millions d’« unités » : soit 41,5 millions d’unités du côté des actifs et 23,5 millions d’unités côté retraités, pour un total de 65 millions d’unités.
En fonction de cette proratisation, les retraités, pesant 36,15 % de la population totale disposerait de 21,7 % du PIB de 2045 (36,15 % x 60% du PIB 2045).
Les retraités disposant aujourd’hui de 13,8 % du PIB, l’égalisation du niveau de vie moyen entre actifs et retraités suppose d’augmenter cette part de 7,9 points en 25 ans soit 0,32 point supplémentaire par an.
Compte tenu qu’un point de PIB représente 1,66 point de masse salariale (puisque les salaires représentent 60 % du PIB), 0,32 point de PIB représente 0,54 point de masse salariale, qu’il conviendrait de soustraire du salaire brut pour l’affecter au financement des retraites chaque année pendant 25 ans…
Quid de l’évolution du pouvoir d’achat ? Si contre-intuitif que cela soit, le constat est formel : le pouvoir d’achat ne cesserait d’augmenter tout au long de la période.
En effet, sur la base d’une croissance « réelle » (déduction faite de l’augmentation des prix) de la richesse nationale de 1,44 % en moyenne annuelle, croissance observée entre 2000 et 2015, à partage constant de la richesse nationale entre rémunération du travail et rémunération du capital, le pouvoir d’achat des salaires augmenterait d’un quart en 25 ans.
Sur la base de l’hypothèse de croissance la plus basse du Conseil d’Orientation des retraites, 1 % en moyenne annuelle, le pouvoir d’achat des salaires progresserait quand même de 12 %.
Il s’ensuit que ’est dénuée de tout fondement l’objection selon laquelle le financement des retraites diminuerait le pouvoir d’achat des salaires alors même que le niveau de vie moyen entre actifs et retraités a été égalisé et que les revenus du capital n’ont pas été mis à contribution : le Medef ne saurait protester de l’affaiblissement de la compétitivité des entreprises.
Intertitre :
Tout sauf une utopie…
Le rétablissement du droit à la retraite à 60 ans avec une pension garantie, représentant au minimum 75 % net du salaire net de fin de carrière n’est donc pas une utopie.
Sont tout autant à notre portée des départs anticipés à 55 ans en raison de la pénibilité du travail, l’instauration d’un minimum de pension égal au SMIC net pour une carrière complète et l’indexation des pensions liquidées sur l’évolution des salaires, pour que les retraités bénéficient aussi des gains de productivité.
Il y a donc urgence à rétablir à 60 ans le droit à la retraite à taux plein : un salarié sur deux n’est plus en activité lorsqu’il liquide sa pension. Pourquoi ajouter à la précarité des débuts de carrière, une précarité de fin de carrière ? Le sens de l’histoire, c’est la réduction du temps de travail, sur la vie comme sur la semaine, au fur et à mesure de l’automatisation de la production : travailler moins pour travailler tous.
Une telle réforme est donc avant tout un choix de société et un choix politique. On ne peut la disqualifier dans le débat au prétexte d’une fatalité budgétaire.
En terme de financement, cette réforme ne requiert, selon nos calculs, que 6,32 points de PIB soit 10,5 points de cotisation sur salaire brut supplémentaire en 25 ans.
Concrètement, il faudrait prélever, chaque année pendant 25 ans, 0,42 % de plus sur les salaires pour répondre aux attentes citoyennes, soit un prélèvement mensuel de 10,50 euros pour un salaire mensuel brut de 2500 euros qui pourrait être ramené à 4,20 euros en affectant 6,30 euros sur la part dite « patronale » de la cotisation : il n’y a aucune raison d’exonérer les revenus du capital.
Mettre à contribution les revenus du capital pour une réforme ambitieuse
La mise à contribution des revenus du capital est d’ailleurs un axe prioritaire de financement qui permettrait de dégager des marges de manoeuvre immédiates et conséquentes pour un retour accéléré aux 60 ans et un relèvement du niveau des pensions par rapport aux salaires de fin de carrière. Les gains attachés aux mesures ci-dessous sont considérables :
– suppression des exonérations de cotisation = 73,6 Mds d’euros (en 2019)2
– suppression de l’exemption de cotisation sur l’épargne salariale et l’épargne retraite = 10 milliards (en 2019)2 – mise en place d’une contribution équivalente à la part patronale des cotisations pour la retraite (sous plafond de la Sécurité sociale) sur les revenus financiers des entreprises (environ 300 Mds / an selon les Comptes de la Nation) = 30 Mds / an
– mise en oeuvre de l’égalité salariale entre les femmes et hommes = 6 Mds pour la Caisse nationale d’assurance vieillesse (source CNAV) et 5 Mds pour l’AGIRC-ARRCO en 2020 (source : AGIRC-ARRCO DT 2015-120)
Au total, largement de quoi éponger les 8 à 17 Mds d’euros de déficit anticipés par le Conseil d’orientation des retraites pour 2025. Et largement de quoi financer une réforme de progrès pour les générations futures et les retraités d’aujourd’hui !
Il n’est donc aucunement besoin d’accroître la durée de cotisation pour faire face à l’accroissement du nombre de retraités et aux gains d’espérance de vie à la retraite. A l ‘évidence, même un bulot pourrait s’en rendre compte …
Sylvie DURAND,
Secrétaire nationale de l’UGICT-CGT