publié le 2 décembre 2019 à 18h04
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Selon l’Institut de protection sociale, pour une femme ayant travaillé 10 ans avec un salaire annuel de 15 000 euros, la perte sera de 137 euros par an si elle a un enfant, et de 305 euros pour deux enfants.
« Il n’est pas question d’avoir une réforme qui fasse des gagnants et des perdants ». À trois jours de la manifestation du 5 décembre, le ministre de l’Économie et des Finances a défendu lundi sur France Inter le projet de loi du gouvernement visant à mettre en place un système universel de retraite, fonctionnant par points. Interrogé (entre autres) sur le cas des mères de famille, Bruno Le Maire a ainsi rappelé que la réforme prévoit une revalorisation des pensions dès le premier enfant. « Dans les principes fondamentaux, il y a cette idée simple : il est juste que, dès le premier enfant, vous ayez une revalorisation de 5% ».
Néanmoins, comme l’a rappelé Léa Salamé, une étude publiée par l’Institut de la protection sociale (IPS) conclut que les mères de famille, et notamment celles qui ont eu trois enfants, seront pénalisées par le nouveau système de calcul. « Je ne me reconnais pas dans ces chiffres », répond le ministre. Avant d’ajouter : « Je ne souhaite pas que les mères de famille de trois enfants soient perdantes. On va regarder ça, continuer d’en discuter ».
Bruno Le Maire à réécouter : « une seule caisse de retraite pour tous, ce sera plus juste et plus simple ».
De quoi on parle ?
En l’état actuel, dans le régime de base :
- Quand ils partent à la retraite, les salariés du privé qui ont eu trois enfants voient leur pension majorée de 10%. Cela vaut pour chaque parent.
- En plus de cette majoration, les mères de famille bénéficient pour chaque enfant de huit trimestres qui viennent s’ajouter aux trimestres travaillés entrant dans le calcul des cotisations (4 trimestres automatiquement, et 4 supplémentaires s’ils ne sont pas réclamés par le père). Cela compense les interruptions survenues au cours de leur carrière en leur permettant d’atteindre plus vite une retraite à taux plein.
Avec le projet du gouvernement :
Ces deux dispositions sont supprimées et remplacées par une mesure unique : « chaque enfant donnera lieu désormais à l’attribution d’une majoration de 5% des points acquis par les assurés au moment du départ à la retraite « . Au 4e anniversaire de l’enfant, les parents devront décider lequel des deux bénéficiera de cette revalorisation au moment de leur départ de leur retraite. S’ils le ne font pas, c’est la mère qui en bénéficiera.
Que disent les estimations réalisées jusqu’à présent ?
Le manque de chiffrage précis est régulièrement critiquée par les organisations syndicales. Composé d’experts financiers, juridiques et fiscaux, l’Institut de la protection sociale a publié le 26 novembre un rapport qui examine notamment les conséquences de la réforme Delevoye sur les mères de famille.
Or, d’après les calculs de l’IPS, en raison de la mise en place d’un âge pivot (64 ans) et de la suppression de la règle des huit trimestres qui permettait d’arriver plus vite à une retraite à taux plein, les mères de famille qui ont un ou deux enfants perdent au change. « Si elles veulent partir à 62 ans comme actuellement, elles devront supporter une décote de 10% qui annihile largement la majoration de 5% par enfant », écrivent les experts.
Selon eux, pour une femme ayant travaillé 10 ans avec un salaire annuel de 15 000 euros, la perte sera de 137 euros par an si elle a un enfant, et de 305 euros pour deux enfants. Pour une carrière de 152 trimestres et 15 000 euros de salaire annuel, la perte sera de 750 euros par an pour les mères d’un enfant, et de 1 633 euros pour les mères de deux enfants.
« Pour les familles de trois enfants, la perte de droit est d’une ampleur exceptionnelle », note également l’IPS. De fait, celles-ci perdront en plus la majoration de 10% pour le troisième enfant. « À titre d’illustration, pour des parents qui ont cotisé chacun durant 120 trimestres, la perte sera au total de 944 euros/ an pour 15 000 € de salaire annuel et de 2 518 euros/ an pour un salaire de 40 000 euros », peut-on lire dans le rapport.
Les seuls cas où le nouveau système s’avérerait plus avantageux serait ceux où les femmes valident 30 années de carrière, soulignent les experts.
« Les règles doivent immédiatement être revues »
« Les règles doivent immédiatement être revues, sauf à assumer que les femmes vont perdre des droits », explique à France Inter Bruno Chrétien, président de l’IPS, rappelant que la promesse de l’exécutif est justement d’aider les femmes et les carrières hachées.
Une tribune, publiée le 28 novembre dans le Monde et signée par un collectif de femmes, dénonce elle aussi « l’aggravation des inégalités de pension entre hommes et femmes » qu’engendrerait un système de retraite par point. Concernant les droits familiaux, « on peine à croire que ce système serait plus avantageux pour les femmes », regrettent les signataires de la tribune. « On peut au contraire craindre que les couples préfèrent attribuer la majoration aux pères du fait de leur pension plus forte. Que se passera-t-il pour les femmes en cas de séparation du couple ? »
Sophie Binet, l’une des signataires de la tribune et pilote du collectif femmes mixité de la CGT, note ainsi « les précautions oratoires » prises par Bruno Le Maire, qui a affirmé « ne pas se reconnaître » dans les chiffres de l’IPS. « Au gouvernement ils sont très ennuyés sur ce point qui détruit leur communication d’une réforme favorable aux femmes ».