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Une réforme de la haute fonction publique en trompe l’œil.
Annoncée par Macron en pleine crise des gilets jaunes en avril 2019, la réforme de la haute fonction publique voit ses contours précisés en pleine mobilisation sociale contre le projet rétrograde de réforme des retraites. A l’occasion de la remise ce 18 février 2020 du rapport de Frédéric Thiriez, le gouvernement cherche à réitérer son opération de communication par une nouvelle tentative de diversion.
Parmi les pistes tracées par le rapport, le gouvernement retient d’ores et déjà la suppression de l’ENA et la création d’une nouvelle « école du management public ». Le gouvernement reprend également à son compte l’idée de supprimer le classement de sortie. Il prévoit aussi la mise en place d’un Institut des Hautes Etudes en Service Public (IHESP) destiné à former des hauts fonctionnaires en cours de carrière mais qui risque faute de moyens de n’être qu’une coquille vide (une formation étalée sur un an mais qui dure moins d’un mois ; un vivier pour les plus hauts postes mais dans lequel le gouvernement qui décide des nominations n’est pas obligé de puiser ; un financement pris sur les budgets déjà étriqués des écoles de service public).
Par ailleurs, le rapprochement à marche forcée de formations aussi différentes que celles des magistrats, des énarques, des directeurs d’hôpital, des administrateurs territoriaux ou des commissaires de police nie les identités professionnelles et la nécessité de disposer d’écoles d’application professionnelles en phase avec les exigences des missions. On est bien loin des annonces sur le rapprochement des hauts fonctionnaires avec le terrain.
De même, on ne peut que déplorer les évolutions attendues sur le contenu des formations qui, de toute évidence, renforceraient la logique néolibérale du New Public Management qui pollue tous les enseignements et conduit les hauts fonctionnaires à être les zélateurs de l’austérité budgétaire plutôt que les serviteurs de l’intérêt général.
Au grand jeu du chamboule-tout, serait-on en train de feindre de tout changer pour que rien ne change ?
Sur la diversification du recrutement, si des pistes sérieuses sont tracées, le financement demeure le parent pauvre, comme d’ailleurs pour le reste de la réforme. Tout ou presque est en effet envisagé à moyens constants, seuls quelques crédits étant préconisés pour financer les « classes égalités des chances ».
Les annonces d’Édouard Philippe éludent des questions cruciales, insistant sur l’accessoire pour mieux omettre l’essentiel. En quoi la réforme annoncée de la haute fonction publique répond-elle à l’intérêt général et à la demande croissante de services publics de la population ? En quoi les évolutions proposées évitent-elles la collusion entre l’élite administrative et les milieux économiques ? En quoi la réforme conforterait-elle les garanties statutaires offertes aux hauts fonctionnaires permettant de prémunir la République contre les risques de corruption ?
Toutes ces questions ne sont pas au coeur des préoccupations gouvernementales car Macron veut calquer le fonctionnement de l’État sur celui des entreprises. Depuis la loi du 6 août 2019, le gouvernement a plus que jamais décidé d’ouvrir les recrutements aux contractuels, ouvrant grandes les portes au clientélisme. D’un côté, Thiriez revoit la formation des hauts fonctionnaires et de l’autre, Philippe permet de ne plus recruter des fonctionnaires pour occuper ces postes à haute responsabilité. Cherchez l’erreur !
Au final, les propositions de Thiriez, qui restent pour l’essentiel à confirmer par le gouvernement, entretiennent une confusion volontaire, tant sur les objectifs que sur leur mise en oeuvre, faisant plus penser à un numéro d’équilibriste qu’à une vision renouvelée du service public et une réaffirmation de l’intérêt général servi par des fonctionnaires hautement qualifiés. La vision macronnienne de la haute fonction publique confirme hélas l’étroitesse de vue présidentielle sur la fonction publique en général. En ce sens, les propositions Thiriez, loin de répondre aux attentes de la population, ne font qu’accroître le sentiment de distance.
Pour la CGT, la question fondamentale est celle-ci : comment redonner un souffle aux écoles en leur permettant de s’extirper d’une forme de pensée unique qui a fait allégeance aux dogmes budgétaires en bradant le sens de l’État? Les écoles de la haute fonction publique doivent cesser de singer les “business school” en multipliant les immersions en entreprise et doivent au contraire chercher à s’ancrer dans le réel des administrations et des administré·e·s.
Il importe de réaffirmer la place des écoles en tant qu’écoles d’application, assises sur une culture commune du service public et de réaffirmer les spécificités par versant qui nécessitent des cursus distincts. Cela suppose de redonner aux écoles les moyens de fonctionner et ne pas chercher à les fusionner pour tout ou partie afin de remédier au déficit structurel de financements que l’État a lui-même organisé.
Les écoles ne doivent pas être des machines à classer mais des lieux de formation dédiés. Cela suppose de modifier les conditions d’accès aux “grands” corps et de remettre en cause la hiérarchie entre les différents corps.
Une réforme pertinente passe par le renforcement des garanties des fonctionnaires. L’harmonisation par le haut des statuts particuliers sur la base de grilles indiciaires resserrées et de régimes indemnitaires limités est le moyen d’assurer plus d’attractivité mais aussi plus de mobilité à l’occasion d’un parcours professionnel choisi adossé à une formation continue qui permet le retour régulier en école.
Les écoles formant à la haute fonction publique ne pourront se départir de l’image de “caste administrative” que si elles permettent une plus grande diversité des profils de recrutement. Les fonctionnaires doivent être le reflet de la société qu’ils concourent à administrer. La diversité ne se décrète pas mais passe par des actions concrètes comme le développement de préparations externes et internes partout sur le territoire pour contrebalancer la prépondérance des voies de recrutement actuelles, par des voies d’accès ouvertes au tiers secteur, soit à tous les acteurs de l’économie sociale et solidaire (associatifs, travailleurs sociaux, syndicalistes…) qui contribuent eux aussi à l’intérêt général.
Pour cette réforme qui reste à construire, la CGT demeure disponible sur la base de ses propositions.
Montreuil, le 18 février 2020