Face à l’extrême droite qui ne cesse de gagner du terrain, il est minuit moins le quart, Sophie Binet entre en Résistance
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Ce petit livre de 112 pages sur le Programme du Conseil National de la Résistance (9€), immense par sa portée, a été réédité par Grasset, à l’occasion du 80ᵉ anniversaire du débarquement et de la Bataille de Normandie.
La préface signée de la secrétaire générale de la CGT sonne l’alarme.
En voici quelques extraits.
L’expérience du CNR doit nous servir de boussole face à la montée de l’extrême droite
« Nous sommes à la fin d’un cycle, à un instant crucial qui exige un sursaut…. Le programme du Conseil national de la Résistance, publié clandestinement en 1944, constitue une formidable source d’inspiration. »
Le 15 mars 1944, les 16 membres du Conseil national de la Résistance (CNR), dont la CGT, adoptaient un programme commun publié sous le nom des « Jours heureux » pour la reconstruction de la France. Outre le combat contre l’occupant, ce programme a donné lieu au plus grand cycle de réformes économiques et sociales depuis la Révolution française : sécurité sociale, nationalisations, droit au repos, à la santé, à l’accès à la culture et à l’éducation, à la liberté d’expression… Entre la protection sociale (Sécurité sociale, mutuelles complémentaires, chômage) avec les cotisations des assurés qui financent directement les prestations et les entreprises nationalisées, ce serait près de 50 % du PIB qui est exclu de la spéculation capitaliste.
En France, des tentatives pour défaire le Programme du Conseil National de la Résistance »
C’est de Gaulle qui lancera la première offensive d’ampleur en 1967 avec sa réforme par ordonnances de la Sécurité sociale. L’objectif est – déjà – de limiter les dépenses de la Sécurité sociale, et de mettre fin à la direction démocratique par les salarié·es. Les élections sont supprimées, et la parité avec les patrons est instituée, De Gaulle impose sa réforme, mais paiera son passage en force. Un an plus tard, il doit affronter le mouvement de Mai-68, une mobilisation inédite et massive de la jeunesse pour le droit à l’émancipation conjuguée à de grandes grèves ouvrières pour les droits sociaux. La dynamique est lancée : la victoire de la gauche en 1981 apporte des améliorations du système de retraite et de nouvelles nationalisations.
En Europe et dans le monde, le néolibéralisme
Porté par Ronald Reagan et Margaret Thatcher, le principe est de mettre l’État au service des marchés financiers, livrer l’économie à la spéculation financière en amenant les entreprises et les États à se financer sur les marchés au lieu d’utiliser le crédit bancaire. Pour faciliter la circulation des capitaux ils remplacent les systèmes de retraite par répartition par des caisses de retraite par capitalisation. Ainsi, la gestion des sommes épargnées par les salariés pour financer leurs futures retraites est assurée par des fonds de pension qui les placent dans des entreprises. Une double peine pour le monde du travail : les retraites par capitalisation sont sans aucune garantie et il suffit d’une crise financière ou de fautes de gestion pour que leur pécule fonde comme neige au soleil et qu’ils se retrouvent sans rien pour financer leur retraite, à l’image de ces millions de retraités américains après la crise des « subprimes » en 2008.
Ensuite, c’est leur épargne retraite qui financiarise leur travail et leurs entreprises. Pour se convaincre du résultat, il suffit de constater qu’en France, les secteurs dans lesquels les luttes sont les plus dures sont aussi ceux qui sont les plus financiarisés : les premiers actionnaires d’Orpéa, gestionnaire d’Ehpad impliqué dans un scandale de maltraitance, sont les retraités canadiens, via leur système de retraite public par capitalisation […] . Ainsi, on place le monde du travail dans une contradiction complète : pour s’assurer le meilleur niveau de retraite, on a intérêt à ce que les rendements exigés des actions soient les plus élevés possible, alors que comme salarié·es, nous avons besoin que l’argent que nous créons par notre travail soit d’abord redistribué par les salaires et réinvesti dans l’outil de travail.
Un État et un patronat qui assument désormais d’attaquer frontalement les acquis du CNR. Après les privatisations de 1986, la remise en cause des droits à la retraite : 1995, 2003, 2010, 2019, 2023. Le capitalisme, pour se développer, a sans cesse besoin de nouveaux marchés pour spéculer. Là se trouve l’objectif de la remise en cause de nos retraites ou de notre système d’assurance maladie. Il ne s’agit pas de faire des économies mais d’ouvrir un nouveau terrain de jeu pour les assureurs privés. En France, aucun gouvernement n’a encore osé mettre fin aux retraites par répartition pour le remplacer par un régime par capitalisation. Par contre, chaque réforme des retraites depuis 1993 fait reculer le niveau de protection des retraites par répartition, et ouvre un nouveau marché pour l’épargne retraite. C’est la raison pour laquelle chaque réforme s’est accompagnée de la mise en place de mesures pour aider au développement de l’épargne retraite, dont les encours représentent désormais plus de 10 % du PIB.
Le monde de 2024 ressemble de façon saisissante à celui des années 30 par la multiplication des conflits armés et l’extrême droite au pouvoir ou à ses portes. La dynamique est mondiale mais rien n’est écrit d’avance : Brésil, Pologne, Espagne, la vaste mobilisation, notamment syndicale, a empêché l’extrême droite d’arriver ou de revenir au pouvoir. […]
L’inégale répartition des richesses, et les oppositions entre social et environnemental font le lit de l’extrême droite.
Depuis la financiarisation de l’économie, c’est plus de 5% de la valeur ajoutée soit 100 milliards qui sont réorientés annuellement du travail vers le capital. La fortune des cinq premiers milliardaires français (source Oxfam) a doublé depuis la crise Covid et équivaut désormais à ce que possèdent 40% des Français·es les plus pauvres. Il est nécessaire de modifier le partage des richesses entre le capital et le travail. Si c’est nous qui payons, nous les travailleuses et les travailleurs, , cela alimentera le terreau de progression de l’extrême droite.
La question environnementale est l’un des facteurs contribuant à la montée de l’extrême droite. De plus en plus de régions vont devenir inhabitables ou n’auront plus les ressources agricoles suffisantes pour nourrir leur population, ce qui va engendrer des migrations. L’extrême droite alimente ainsi le mythe d’une submersion migratoire des pays développés. Du côté des dominants, étant donné que le capital refuse de remettre en cause le logiciel néolibéral, il y a des mises en opposition entre le social et l’environnemental. L’extrême droite prospère grâce à celles-ci.
Par exemple, la réflexion sur le partage des richesses étant absente, les propositions en termes de transformation des mobilités reposent toujours sur les plus modestes. Le prix du carburant augmente pour vous et moi, mais le prix du kérosène est
Concentration des médias
La situation de Vincent Bolloré est citée à titre d’exemple, lui qui détient les chaînes Canal+ et CNews, la radio Europe 1, Le Journal du dimanche et d’autres titres, tel Paris Match dont il négocie la vente.
« En France, une poignée de milliardaires se partagent aujourd’hui l’essentiel de la presse nationale et des médias. Une situation unique en Europe. Profondément alarmante, et bien loin du programme du CNR
Enfin, la division de la gauche et l’absence d’alternatives au désordre du néolibéralisme font progresser l’extrême droite. Nous avons besoin de ruptures fortes au vu de la situation sociale, environnementale et économique. Ce qui fait le carburant de l’extrême droite, c’est la dissociation des questions environnementales et sociales. Elle prospère quand on laisse les emplois industriels disparaître au prétexte qu’ils sont polluants sans se préoccuper des conséquences sociales.