Budgets 2018 : le bloc communal face à des choix cornéliens.

Téléchargez l’article en PDF : ici

AdobeStock
Afin de boucler leur budget, les élus du bloc local doivent choisir entre respecter leurs engagements de campagne, ce qui passe par une relance des investissements, et se conformer aux nouvelles contraintes financières, dans un environnement fiscal très incertain.

Le pic d’investissement habituel de mi-mandat ne figure toujours pas au budget 2018 du bloc communal, plutôt contraint de parer au plus pressé. Même si l’observatoire des finances et de la gestion publique locales qualifie de « net rebond » le niveau des dépenses d’équipement direct (+ 6,5 % en 2017), celui-ci vient après « trois années de baisse », tempère Thomas Rougier, secrétaire général de l’observatoire. La baisse de l’investissement est même « sans précédent depuis la décentralisation, par son ampleur nationale et sa généralisation territoriale », selon une étude du groupe bancaire BPCE sur les dynamiques nationale et territoriale de l’investissement public local, réalisée en mars.

« Le recul n’a pourtant pas été suffisant pour réduire l’endettement et améliorer la solvabilité des collectivités », ajoute BPCE. « Le milieu de cycle est un moment important pour des projets un peu structurants. L’investissement a repris des couleurs, mais se prolongera-t-il jusqu’aux élections, comme dans un mandat classique ? » s’interroge Thomas Rougier.

« Lorsqu’ils ont été élus en 2014, les maires avaient déjà conscience qu’ils ne pourraient pas faire tout ce qu’ils voulaient, commente Armand Pinoteau, conseiller à Villes de France. Là, ils s’orientent vers des travaux d’infrastructures, d’entretien, de prévention des risques, grâce à un recours à l’emprunt, un peu d’épargne dégagée ou le fonds de roulement de l’an passé : le nouvel équipement n’est pas la priorité. » Antoine Homé, secrétaire général de l’Association des petites villes de France (APVF) et maire (PS) de Wittenheim (14 500 hab., Haut-Rhin), confirme : « De plus en plus de maires se concentrent sur la pérennité de l’existant. Mais beaucoup d’équipements ont quarante ans et nécessitent d’importants travaux de maintenance ou de mise aux normes. Nous investissons donc contraints. »

Impact sur le quotidien des habitants

En effet, indique Emma Chenillat, conseillère à l’APVF, « la majorité des petites villes a dégagé de l’épargne brute en 2017 sans actionner le levier fiscal ». Mais au prix d’un serrage de vis dans le quotidien des habitants : réduction de 44 % des dépenses d’entretien de la voirie, de 33 % pour l’environnement et de 22 % pour la création et la gestion des équipements sportifs, la rénovation des écoles et l’organisation des manifestations culturelles.

Dans les villages, ne programmer que le nécessaire complexifie le bouclage des budgets. « Notre capacité d’investissement est si réduite qu’il faudrait augmenter les impôts, mais vu les ponctions au niveau de la CSG ou du diesel, on ne va pas annoncer ça aux habitants ! » lance Denis Durand, maire (MRC) de Bengy-sur-Craon (675 hab., Cher) et président de l’Association des maires ruraux (AMRF) du Cher. « La plupart des élus n’ont même plus les moyens de faire de la voirie car ils consacrent leur budget aux mises aux normes, les plans locaux d’urbanisme leur coûtent très cher et sont peu subventionnés », poursuit-il.

Investir plus

A mi-chemin entre l’indispensable et le nécessaire, certaines communes parviennent pourtant à majorer l’investissement. Comme Tours (136 300 hab.), qui s’apprête à voter une hausse de 6 millions d’euros par rapport à 2017 pour atteindre 33 millions, afin d’édifier une école, de reconstruire une crèche et de combler d’importants retards en matière de voirie. Outre les économies demandées aux services, la ville a commencé à céder des bâtiments inutilisés (2,7 millions récoltés en 2017). Sa capacité de désendettement est passée de dix-huit ans en 2014 à douze ans en 2017, et l’objectif est de passer sous les neuf ans en fin d’année, même si la dette atteint encore 219,26 millions d’euros (1571 euros par habitant).

A Montreuil (106 700 hab.) règne le même souci de sobriété. Afin d’investir 52,5 millions d’euros (dont 34,6 consacrés à de nouveaux projets), « une attention quasi journalière est portée à la dépense, affirme le maire [PC], Patrice Bessac. Chaque euro est tourné et retourné avant d’être dépensé ; certains programmes de rénovation d’équipements sont mis en attente ».

Montreuil a trouvé des marges de manœuvre dans « un changement des règles de publicité » impactant fortement les grandes surfaces, un contrôle appuyé des zones de stationnement, une révision des politiques tarifaires « plus contributives pour les classes plus aisées » et « la vente de patrimoine privé non stratégique ». Les 28 millions d’euros de dotations de l’Etat en moins en quatre ans ont été « intégralement compensés par des économies internes, mais j’ai le sentiment que l’on est chaque année un peu plus au bord de la rupture », confie le maire.

Suppression de la taxe d’habitation

Les maires sont aussi préoccupés par la suppression de la taxe d’habitation. Même si « 30 % à 40 % des foyers fiscaux étaient déjà exonérés », note Armand Pinoteau, les élus « s’inquiètent de l’impact de cette mesure dans le temps », affirme Antoine Homé. Et d’autres nuages s’amoncellent : « Même sans baisse de dotation », les collectivités font face à « une diminution des allocations de compensation, ainsi que, pour deux tiers d’entre elles, à une baisse de la dotation forfaitaire du fait de l’importance des besoins de financement internes à la dotation globale de fonctionnement », souligne Franck Claeys, directeur de l’économie et des finances territoriales de France Urbaine.

Les maires et les exécutifs des intercos se montrent tout autant dubitatifs vis-à-vis de leur engagement avec l’Etat sur une maîtrise des dépenses. Certains « sont dans une logique de dialogue, même si cela ne signifie pas qu’ils vont signer, précise Franck Claeys. La contractualisation n’est en effet pas satisfaisante, le périmètre des dépenses concernées et le taux retenu doivent encore être discutés : un tiers des communes subiront une maîtrise de 1,2 % et les deux autres tiers verraient le curseur bouger entre 0,75 % et 1,65 %. Le regard ne doit pas être uniquement comptable ».

Refus de contractualiser avec l’Etat

En revanche, d’autres, comme Montreuil, ne veulent pas signer. Son maire refuse « le retour de la tutelle préfectorale » et une réglementation « pas du tout adaptée aux villes en évolution ». « Quand on parle de maîtriser ses dépenses, il faut surtout bien les connaître », insiste Laurence Penhouët, vice-présidente déléguée aux finances de l’Association des directeurs généraux des communautés de France (ADGCF) et directrice générale adjointe du pôle administratif et financier de Saint-Brieuc agglomération (13 communes, 115 900 hab.). Or, les fusions récentes laissent les intercommunalités en « manque de repères. Elles ne doivent pas s’engager dans un rabotage mécanique des dépenses, mais réfléchir par politiques ».

Un exercice auquel s’entraîne Mont-Saint-Michel-Normandie agglomération (97 communes, 88 100 hab., Manche) née, en janvier 2017, de la fusion de cinq intercos rurales « fragilisées par une baisse des dotations de l’Etat », résume Nicolas Betou, son directeur des finances. Confrontés à un programme d’investissement supérieur à leurs moyens financiers et affaiblis par « une capacité d’autofinancement nette qui se dégrade », les élus sont face à un choix cornélien : actionner le levier fiscal « politiquement compliqué », mettre en place le pacte fiscal « également difficile » ou réduire la voilure des investissements avec le risque d’acquitter des pénalités pour les marchés déjà signés.

Le dilemme des élus normands résonnera aux oreilles de tous leurs pairs confrontés à la nécessité des arbitrages.

Imprimer cet article Télécharger cet article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *