Publié le 26/06/2018 • dans : A la une, A la une emploi, A la Une RH, Actu Emploi, France, Toute l’actu RH
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Trente-cinq ans après la création de la fonction publique territoriale, le « père » du statut, Anicet Le Pors, conseiller d’Etat honoraire, ancien ministre, dénonce avec esprit ce qu’il estime être la dangerosité du programme d’Emmanuel Macron pour la fonction publique.
Le gouvernement a officiellement lancé le 1er février une réforme de la fonction publique dont la traduction législative devrait intervenir dans le courant de l’année 2019. « Une énième », disent les plus expérimentés, comme pour se rassurer. Les plus inquiets pensent que ce nouveau coup de semonce pourrait avoir des conséquences dramatiques pour les services publics.
Les quatre chantiers soumis à concertation (dialogue social, contractuels, rémunération et évolution de carrière) font l’unanimité syndicale contre eux. Sans parler de la méthode, qui cristallise les mécontentements…
Le XXIe siècle devrait être « l’âge d’or du service public ».
Toujours combatif, Anicet Le Pors, ancien ministre communiste de la Fonction publique et des réformes administratives (1981-1983) du gouvernement Mauroy, pense toutefois que le président de la République, « aussi habile soit-il », et comme ses prédécesseurs, « échouera » dans son entreprise de démantèlement. En politique, bien des choses peuvent se passer… L’homme reste optimiste !
Et n’hésite pas à rappeler que le statut a toujours été l’objet d’attaques, frontales comme souterraines. « La fonction publique territoriale a subi, à elle seule, 84 modifications ! » Plus que le statut, ce sont les principes et les valeurs le sous-tendant qui sont les plus importantes, explique Anicet Le Pors. Pour l’ancien ministre, le XXIe siècle devrait être « l’âge d’or du service public ».Comment voyez-vous la réflexion actuelle sur la fonction publique ?
Emmanuel Macron est un homme du libéralisme, de l’économie de marché. Il est d’une hostilité totale envers tout ce qui apparaît comme réglementation statutaire des salariés. Sa norme sociale de référence est celle qu’il a définie par la réforme du code du travail : le contrat individuel conclu entre un salarié et un patron. Il pense qu’elle devrait devenir la référence générale pour le salariat, aussi bien dans le public que dans le privé.
Dans le champ des personnels à statut, il a vu qu’il y avait des terrains inégalement difficiles. Et a choisi de commencer sa croisade anti-statutaire par les cheminots car l’entreprise publique était vulnérable sur le plan juridique (1) et ses effectifs ne dépassent pas 140 000 agents. Il pouvait aussi s’appuyer sur la dégradation du service public des chemins de fer. Si le verrou statutaire des cheminots saute, la voie sera ouverte pour s’attaquer à tous les autres statuts, et parachever ce qui a déjà été fait pour d’autres comme à Air France, La Poste, EDF et France Télécom. Avant le gros morceau, qui est le statut de la fonction publique avec 5,5 millions d’agents, soit 20 % de la population active.
Emmanuel Macron mène sa croisade de manière intelligente, progressive, insidieuse.
Emmanuel Macron mène sa croisade de manière intelligente, progressive, insidieuse. Il avait indiqué la voie en jugeant le statut de la fonction publique « inapproprié », puis a qualifié les personnels à statut d’« insiders », c’est-à-dire de nantis, de privilégiés…
Le 13 octobre dernier, Edouard Philippe a lancé l’affaire en écrivant à ses ministres que l’Etat serait amené à abandonner des missions ou à les transférer au privé. A ce moment a été décidée la constitution de CAP22 qui est un leurre, car constitué pour rendre les conclusions que le gouvernement attend. Nous sommes bien dans le paradigme de l’entreprise privée.
Le statut de la fonction publique est-il en danger ?
Avec le recours accru aux contractuels, les plans de départs volontaires, la rémunération au mérite, etc., Edouard Philippe a dit l’essentiel le 1er février. Le comité CAP 22 va faire de la surenchère. Ce qui permettra au gouvernement de revenir plus ou moins à ses propositions de départ.
Olivier Dussopt (2) peut ainsi dire aujourd’hui que le gouvernement ne supprimera pas le statut. Je n’ai d’ailleurs jamais pensé qu’ils allaient le faire dans l’immédiat. Ils ont en tête un schéma du genre fonction publique allemande avec ses 700 000 fonctionnaires, alors que la population est plus nombreuse. Tous les autres agents publics sont dans des conventions collectives.
Le risque est d’abîmer notre conception du service public au profit d’une société de marché généralisé.
Pour atteindre cet objectif, le statut serait progressivement contourné et mis en extinction, tout en favorisant le recrutement de contractuels, au détriment des fonctionnaires. Le risque est d’abîmer notre conception du service public au profit d’une société de marché généralisé.
Bon nombre de présidents de la République et de gouvernements ont voulu réformer la fonction publique. Pensez-vous que, cette fois, la démarche ira à son terme ?
Macron veut supprimer 120 000 postes. Mais, sauf à courir un grand risque politique, il buttera sur le minimum de moyens à concéder pour garantir la cohésion sociale et une satisfaction minimale des besoins sociaux incompressibles.
Et puis il y aura nécessairement une prise de conscience populaire d’une démarche contraire à l’intérêt général. Il est habile – comme le montrent la réforme du code du travail et celle du statut des cheminots – et il va vite, mais je pense qu’il mesure mal la place prise dans la culture républicaine de notre pays par le service public et la fonction publique.
Comme ses prédécesseurs qui ont prétendu recourir au contrat contre la loi, comme Nicolas Sarkozy en 2008 qui en appelait sur ce même terrain à une « révolution culturelle » dans la fonction publique, il échouera. Les cartes ne sont pas toutes du même côté… Et il y a toujours des imprévus en politique.
Faut-il décrocher les trois versants de la fonction publique ?
L’architecture du statut a été conçue sur la base d’un équilibre entre deux principes constitutionnels : l’unité de la République et la libre administration des collectivités. Un étatisme dominant, et Bercy gérerait les collectivités ; une balkanisation, et la différenciation et la hiérarchisation des fonctions publiques l’emporteraient. Dans les deux cas, la FPT serait perdante. Il est normal que la place du curseur entre unité et diversité fasse débat. Il prolonge l’affrontement ancien entre Jacobins et Girondins. Sa solution peut varier dans le temps.
Ma conviction est que si la FPT est, à l’évidence, la cible principale des adversaires du statut, elle est aussi une promesse d’enrichissement pour toute la fonction publique en raison de sa proximité avec les besoins, de la grande diversité de ses activités, de la relative autonomie de sa gestion, de sa recherche permanente d’adéquation entre objectifs et moyens, de sa relation humaine avec l’usager. A cet égard, le statut confère aux élus territoriaux une sécurité juridique, mais aussi une responsabilité dans l’application fine de l’Etat de droit.
La FPT estla cible principale des adversaires du statut ; elle est aussi une promesse d’enrichissement pour toute la fonction publique
La question n’est donc pas de savoir si le statut doit évoluer. S’il ne le faisait pas en fonction de l’évolution des besoins, des technologies et du contexte national et mondial, il se scléroserait et finirait par disparaître. Mais son évolution ne saurait s’inscrire dans la perspective bornée d’un libéralisme regardé comme un horizon indépassable. Nous sommes au contraire dans un monde d’interdépendances, d’interconnexions, de coopérations et de solidarité qui se concentrent, en France, dans une idée enracinée dans notre histoire et notre culture : le service public. Là est la modernité.
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Macron veut supprimer 120 000 postes. Mais, sauf à courir un grand risque politique, il buttera sur le minimum de moyens à concéder pour garantir la cohésion sociale et une satisfaction minimale des besoins sociaux incompressibles.
Et puis il y aura nécessairement une prise de conscience populaire d’une démarche contraire à l’intérêt général. Il est habile – comme le montrent la réforme du code du travail et celle du statut des cheminots – et il va vite, mais je pense qu’il mesure mal la place prise dans la culture républicaine de notre pays par le service public et la fonction publique.
Comme ses prédécesseurs qui ont prétendu recourir au contrat contre la loi, comme Nicolas Sarkozy en 2008 qui en appelait sur ce même terrain à une « révolution culturelle » dans la fonction publique, il échouera. Les cartes ne sont pas toutes du même côté… Et il y a toujours des imprévus en politique.
Faut-il décrocher les trois versants de la fonction publique ?
L’architecture du statut a été conçue sur la base d’un équilibre entre deux principes constitutionnels : l’unité de la République et la libre administration des collectivités. Un étatisme dominant, et Bercy gérerait les collectivités ; une balkanisation, et la différenciation et la hiérarchisation des fonctions publiques l’emporteraient. Dans les deux cas, la FPT serait perdante. Il est normal que la place du curseur entre unité et diversité fasse débat. Il prolonge l’affrontement ancien entre Jacobins et Girondins. Sa solution peut varier dans le temps.
Ma conviction est que si la FPT est, à l’évidence, la cible principale des adversaires du statut, elle est aussi une promesse d’enrichissement pour toute la fonction publique en raison de sa proximité avec les besoins, de la grande diversité de ses activités, de la relative autonomie de sa gestion, de sa recherche permanente d’adéquation entre objectifs et moyens, de sa relation humaine avec l’usager. A cet égard, le statut confère aux élus territoriaux une sécurité juridique, mais aussi une responsabilité dans l’application fine de l’Etat de droit.
La FPT estla cible principale des adversaires du statut ; elle est aussi une promesse d’enrichissement pour toute la fonction publique
La question n’est donc pas de savoir si le statut doit évoluer. S’il ne le faisait pas en fonction de l’évolution des besoins, des technologies et du contexte national et mondial, il se scléroserait et finirait par disparaître. Mais son évolution ne saurait s’inscrire dans la perspective bornée d’un libéralisme regardé comme un horizon indépassable. Nous sommes au contraire dans un monde d’interdépendances, d’interconnexions, de coopérations et de solidarité qui se concentrent, en France, dans une idée enracinée dans notre histoire et notre culture : le service public. Là est la modernité.
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