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La mobilisation du 17 novembre interpelle dans nos rangs, même si déjà de nombreux militants font savoir que c’est une manifestation d’extrême-droite. Il est tentant de se dire que l’on pourrait profiter de ce qui semble une mobilisation massive pour y faire entendre les revendications de la CGT. Ce n’est pas le cas, et pour plusieurs raisons.
Peu importe d’où elle est partie, la mobilisation du 17 novembre appelant à bloquer les routes sur le prix de l’essence est aujourd’hui clairement une mobilisation d’extrême-droite. La vidéo la plus regardée est celle d’un délégué de Debout la France, animateur d’une page politique intitulée « Patriosphère ». La mobilisation est d’ailleurs soutenue par les dirigeants du Rassemblement National, de Debout la France, au moins un député LR en Bretagne…
La CGT s’est exprimée clairement contre la présence dans nos cortèges d’organisations d’extrême-droite, même quand elles prétendent défendre le service public et les salariés (http://www.cgt.fr/Ni-nulle-part-ailleurs.html).
Réciproquement, la présence de la CGT dans des initiatives d’extrême-droite est contraire à notre démarche syndicale, et ne ferait que légitimer ces idées d’extrême-droite. Enfin sur le thème : nos revendications ne seraient pas entendues, d’autant plus que la cohérence de notre démarche serait mise à mal.
Nos propositions sont issues d’un travail collectif, débattues et validées démocratiquement, et se placent dans le cadre de l’opposition des intérêts du capitalisme et ceux des travailleur.euses, mais aussi de la lutte contre les idées d’extrême-droite et des diverses oppressions.
C’est un cadre fondamental, la base de ce qui nous est commun à toutes et tous à la CGT.
Il faut bien sûr nous interroger sur l’apparent engouement massif pour cette mobilisation du 17 novembre alors que nous peinons à créer un rapport de force suffisant, du moins sur des projets d’ampleur nationale (car les victoires locales sont nombreuses), aussi bien dans des instances paritaires face au patronat (Unedic, branches et conventions collectives) que sur des lois écrites pour le Medef.
Il s’agit de comprendre pourquoi, pour certains, ce genre de mobilisation, et la réponse aux revendications portées, apparaissent plus compatibles avec leur niveau d’engagement et plus atteignables en terme revendicatif. Des sujets qui sont au coeur de nos préoccupations à l’approche de notre congrès confédéral.
Notre démarche est ambitieuse, basée sur la double besogne : elle repose sur la réponse immédiate aux attentes, et une prise de conscience des salarié.es, chômeur.euses et retraité.es de la nécessité de se mettre en lutte, de réfléchir, d’analyser le fonctionnement concret du système capitaliste et ses diverses évolutions ou variantes. Il s’agit de se confronter, d’élaborer collectivement des revendications et des stratégies d’action pour le dépasser. Cette démarche est émancipatrice, mais moins simple que de faire quelques clics pour partager une vidéo sans même vérifier ce qu’il y a derrière (ce que peuvent faire encore des militants, des syndiqués de la CGT).
Cela nous renvoie également à reprendre et faire connaitre largement nos repères revendicatifs, nos propositions concernant notamment l’augmentation des salaires, les politiques publiques de transport et d’aménagement du territoire (l’impact des réformes SNCF, etc.), la prise en charge des déplacements domicile/travail.
Il y a également, et il est important de le poser, un vrai problème idéologique dans des manifestations de ce type.
Cela suggère que la société civile organisée, dont font partie les syndicats serait déconnectée des préoccupations, disqualifiés tant sur le fond que sur la forme, pour contester et porter un certain nombre de sujets et obtenir des résultats. Nous le savons la problématique repose plus sur des données intrinsèques liées au rapport de force et au processus démocratique, pour exemple plus de 70 % de la population se prononçait contre la loi travail. Le gouvernement n’a pas pour autant tenu compte des mobilisations et des sondages d’opinion pour avancer sur une loi.
Enfin, le fait que ces initiatives soient partagées par l’extrême droite doit nous amener à réfléchir si l’apparence à « être antisystème » sur un seul sujet déconnecté des enjeux globaux, ne contribuerait pas au contraire à renforcer le système d’exploitation dans lequel nous sommes. Ces mouvements ne reposent sur aucune analyse sérieuse (et encore moins de classe), évitent toute complexité, suppriment tout ce qu’il y a de dynamique dans les rapports sociaux et économiques, et poussent les gens à prendre les choses par le petit bout de la lorgnette.
Cette mobilisation d’extrême-droite, dont la dynamique est essentiellement sur internet et les réseaux sociaux, les grands médias, n’est d’ailleurs pas la première de ce genre.
En janvier 2014, la manifestation « Jour de Colère » contre François Hollande avait été lancée de la même manière sur les réseaux sociaux et se présentait comme une initiative rassemblant de simples citoyens. De nombreux groupes d’extrême-droite y avaient appelé et avaient participé (La Manif pour Tous, Civitas, l’Oeuvre Française…). Le résultat : une manifestation parisienne antisémite, où l’on a pu entendre « Juif, la France n’est pas à toi » et voir des saluts nazis ou leur version moderne les quenelles. [Voir par exemple https://www.huffingtonpost.fr/2014/01/27/jour-colere-quenelles-saluts-nazis-rues-paris_n_4671985.html et https://www.huffingtonpost.fr/2014/01/26/jour-de-colere-26-janvier_n_4667946.html]
Le mouvement des « bonnets rouges » en 2013 est un autre exemple de mouvement « anti-taxe » qui illustre un autre écueil : celui de l’alliance avec le patronat. Le mouvement a en effet été lancé par des responsables d’entreprises bretons, et a vu manifester côte à côte ouvriers, agriculteurs, petits ou grands patrons… Et l’auto affirmation qu’il s’agissait d’un mouvement qui serait un « antidote » au FN n’a pas suffi, parce qu’il n’y avait rien de clair dès le départ dans les idées et les objectifs… [Voir https://www.humanite.fr/bretagne-les-bonnets-rouges-siphonnes-par-lextreme-droite].
La CGT sait critiquer et dénoncer ce qui est contraire aux intérêts du monde du travail. C’est bien avec les salariés, privés d’emplois, précaires, travailleurs ubérisés et retraités que nous comptons construire les luttes et le rapport de force que nous appelons de nos voeux, c’est donc avant tout vers eux qu’il convient de se tourner.
À ce propos, rappelons que le 1er décembre, se tient à Paris une manifestation nationale contre le chômage et la précarité et que la « Commission exécutive confédérale [du 4 septembre 2018] a décidé de faire du 1er décembre, jour de la mobilisation pour les privés d’emplois, une vraie journée confédéralisée sur la précarité et l’exigence de plus de droits pour les privés d’emploi ».