Le droit à la déconnexion en vacances : pas pour tout le monde
Conséquence de la généralisation du télétravail, plus d’un tiers des salariés français disent travailler en vacances, selon une étude.
Par Jules Thomas
Publié le 31 juillet 2022 à 16h22 – Mis à jour le 01 août 2022 à 17h20 • Lecture 3 min.
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Une femme travaille depuis son domicile, à Vertou (Loire-Atlantique), en périphérie de
Nantes, le 14 mai 2020. LOIC VENANCE / AFP
« Le problème de la déconnexion ne date pas d’aujourd’hui, mais le télétravail l’a amplifié, en abolissant les frontières entre temps de travail et temps de repos. »
Comme l’exprime Fabienne Tatot, secrétaire nationale de l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens (Ugict)-CGT, les nouvelles habitudes générées par le travail à distance ne font pas toujours bon ménage avec l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle, surtout lors des congés.
En effet, 36 % des salariés français se connectent à distance pour travailler en vacances, selon une étude publiée par le site d’évaluation des entreprises Glassdoor, menée le 14 juillet auprès d’un échantillon représentatif de mille d’entre eux âgés de plus de 18 ans et travaillant à temps plein.
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Dans une partie non négligeable des cas, cette surcharge hors du temps de travail provient d’une pression directe de l’employeur. Un sondé sur cinq télétravaille, car ce dernier lui adresse des demandes lors des congés, et 24 % des personnes interrogées se disent sommées de prendre leur ordinateur portable en vacances.
« Pression sociale »
Plus étonnant, cette habitude a souvent pour origine le travailleur lui-même. Ainsi, 35 % des répondants utilisent leurs outils professionnels « par peur de manquer des informations »
, et reconnaissent que le télétravail les incite à travailler plus dur, à faire leurs preuves. Par ailleurs, 20 %rapportent même que le télétravail augmente tellement le niveau d’exigence des employeurs et des clients qu’ils estiment normal que les projets en cours continuent d’être gérés pendant les heures de repos.
Avocate spécialisée en droit du travail, Elise Fabing y voit une pression indirecte de l’entreprise :
« Il y a une culture qui consiste à montrer qu’on travaille deux fois plus quand on est à la maison, qu’on est loyal… Les salariés se sentent responsabilisés et ont des objectifs sur le long terme. »
Un droit à la déconnexion figure bien dans le Code du travail depuis2017, mais ses modalités ne sont pas précisées par la loi
Une observation partagée par Fabienne Tatot :
« Les entreprises n’encadrent pas suffisamment le temps de travail. Elles ont tendance à se défausser sur les salariés pour que ceux-ci aient un devoir de déconnexion plutôt qu’un droit. Mais comme on n’est plus évalué par le temps de travail mais sur le travail fait et les objectifs, une pression sociale s’exerce sur chacun d’entre nous, et c’est donc très dur de se déconnecter. »
De fait, 54 % des cadres déclarent travailler lors de leurs jours de repos, selon le baromètre Ugict-CGT/Secafi publié en novembre 2021. Ce chiffre monte à 73 % dans la fonction publique.
Un droit à la déconnexion figure bien dans le Code du travail depuis 2017, mais ses modalités ne sont pas précisées par la loi.
« Il n’y a aucune définition claire et précise de ce droit, c’est simplement un volet de l’obligation de l’entreprise de veiller à la santé et la sécurité de son personnel
, observe Elise Fabing.
La déconnexion doit faire partie des sujets à aborder lors de la négociation annuelle obligatoire sur l’égalité professionnelle, dans les entreprises de plus de cinquante salariés. Elles sont de plus en plus nombreuses à faire des chartes ou accords de déconnexion, mais il n’y a pas de sanction si elles ne le font pas. »
Dégradation de la santé mentale des salariés
Ce sentiment d’impossibilité à « couper » est toutefois loin d’être partagé par tous : la majorité des salariés interrogés dans l’étude explique ne pas subir le télétravail et se dit satisfaite. Plus des deux tiers d’entre eux (68 %) estiment que son adoption leur a donné un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Pourtant, la moitié des sondés reconnaît le risque d’un manque de frontière claire entre les deux.
Cet équilibre gagne donc à être mieux défini, et les solutions sont à portée de main : les employeurs peuvent par exemple préciser des plages horaires pendant lesquelles le salarié est disponible, couper les serveurs ou encore mettre en place des temps de non-utilisation des outils électroniques.
« L’employeur a les moyens de stopper les accès à l’information. On peut paramétrer les téléphones professionnels, demander qu’ils soient rendus avant de partir en congés »
, énumère Elise Fabing.
En conclusion de son analyse, Glassdoor établit un pont entre le non-respect des temps de repos, la pression au travail et la dégradation de la santé mentale des salariés. Au cours des douze derniers mois, la plate-forme observe une augmentation de 159 % de l’usage du terme « burn-out » pour décrire une mauvaise expérience en entreprise.
Jules Thomas