Retraites : qu’est ce qui pourrait faire plier le gouvernement, selon Stéphane SIROT sociologue historien.

ENTRETIEN. « Il y a une colère sourde, pas seulement sur la question des retraites ».

« … Aujourd’hui, les syndicats n’ont pas beaucoup d’options. S’ils veulent faire tomber la mesure des 64 ans, ils doivent durcir le mouvement, c’est-à-dire passer le cap des manifestations sur 24 heures. Le type de mobilisation de janvier-février ne fait plus peur à aucun pouvoir politique depuis vingt ans. Et ce quel que soit le nombre de manifestants. En 2010, le million a été explosé à plusieurs reprises et cela n’a fait bouger personne… »

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ENTRETIEN. « Il y a une colère sourde, pas seulement sur la question des retraites »

La mobilisation contre la réforme des retraites ne faiblit pas, alors qu’une cinquième journée de grève débute ce jeudi 16 février, avant une journée noire annoncée pour le 7 mars par l’intersyndicale. Le mouvement actuel est-il comparable à d’autres mobilisations passées contre de telles réformes ? Stéphane Sirot, historien spécialiste des mouvements sociaux, a répondu aux questions d’Ouest-France.

Entre 25 000 et 30 000 personnes ont manifesté contre la réforme des retraites à Rennes, le 31 janvier 2023. | JOËL LE GALL / OUEST-France

 

 

 

 

 

 

 

Alors qu’une cinquième journée de mobilisation contre la réforme des retraites a lieu ce jeudi 16 février 2023, l’intersyndicale met déjà le cap sur le 7 mars où elle appelle à mettre la « France à l’arrêt » . Avec, en tête, la volonté de durcir le rapport de force avec le gouvernement.

Depuis le début de la mobilisation, le 19 janvier dernier, les syndicats n’hésitent pas à faire le parallèle entre le mouvement actuel et celui de 1995 qui avait fait plier le gouvernement dans sa volonté de réformer le régime des retraites. Cette comparaison a-t-elle raison d’être ? Où se situe la mobilisation actuelle par rapport aux mouvements sociaux récents ? Voici des éléments de réponse avec Stéphane Sirot, historien spécialiste des grèves et du syndicalisme.

Stéphane Sirot, historien spécialiste des grèves et du syndicalisme. | ARCHIVES OUEST-FRANCE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Peut-on comparer ces manifestations avec celles de 1995 contre la réforme des retraites portée par Alain Juppé ?

Depuis le début, ce parallèle est fait au regard de la mobilisation lors des manifestations, à l’image de celle de samedi 11 février qui a rassemblé autant de monde dans la rue que lors de la 4e journée de mobilisation de 1995 (voir graphique ci-dessous).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cependant, cette comparaison ne tient pas en matière de construction du rapport de force. En 1995, la grève reconductible s’est rapidement mise en place. Pendant trois semaines, pratiquement aucun train ni métro ne circulait. Le pays était bloqué. On n’en est pas du tout là pour l’instant.

Au stade où on en est aujourd’hui, cela ressemble plus à 2010 qu’à 1995. À l’époque, le mouvement était construit sur la base d’une série de journées d’action de 24 heures, avec quelques tentatives échouées et peu soutenues par l’intersyndicale de grèves reconductibles.

Lire aussi : ENTRETIEN. Retraites : « Le rapport de force entre les syndicats et le gouvernement va se durcir »

Pourquoi cette référence de 1995 est-elle si importante pour les syndicats et les opposants à la réforme ?

Aux yeux des syndicats, 1995 est le seul mouvement qu’ils peuvent considérer comme un succès contre les différents projets de réforme des retraites puisque le gouvernement a plié. 2003 avait été un échec. L’essentiel des revendications n’avait pas été satisfait et le mouvement avait été terni par cette entente nouée en souterrain entre le gouvernement et le secrétaire général de la CFDT François Chérèque. 15 000 adhérents avaient rendu leur carte.

« 1995 est le seul mouvement que les syndicats peuvent considérer comme un succès. »

— Stéphane Sirot, historien

2010 est aussi un échec total puisque le report de l’âge de 60 à 62 ans est adopté. 1995 est donc le seul vrai succès. Si on prend tous les mouvements sociaux, à part le CPE (Contrat première embauche) en 2006 porté par la mobilisation des jeunes, il n’y a eu que des échecs.

Si, en effet, les choses basculent à l’issue du 7 mars, « journée noire » promise par les syndicats, et que nous entrons dans un mouvement de grève reconductible, cette comparaison avec 1995 aura davantage de sens.

Est-ce qu’il ne sera déjà pas trop tard vu le calendrier parlementaire ?

Cette date du 7 mars peut paraître un peu tardive, mais s’il s’agit de s’engager dans un rapport de force plus frontal, et éventuellement dans un processus de grève reconductible, cela demande un travail syndical en amont pour convaincre les salariés de se mobiliser.

Après le 7 mars, il reste deux semaines aux syndicats s’ils calquent leur mobilisation sur le processus parlementaire comme ils l’ont fait jusqu’à maintenant. Ce moment-là va être charnière car, soit les organisations vont réussir cette journée et éventuellement générer une dynamique de grève reconductible, ce qui permettrait de modifier les données du rapport de force, soit le niveau de mobilisation est le même que les journées précédentes. Dans ce cas, le mouvement verrait ses chances de succès largement amoindries.

Chacun des acteurs du conflit, que ce soit l’intersyndicale ou le gouvernement, joue gros pour cette journée du 7 mars.

Qu’est-ce qui pourrait faire plier le gouvernement ?

Un blocage total du pays semble être la seule chose qui le fera flancher. Sauf si, finalement, la loi n’est pas votée, mais cela ne semble pas en prendre le chemin. La droite laissera passer cette loi, ce type de mesure est exactement dans l’ADN des Républicains, ils seraient incohérents de s’y opposer. La droite sénatoriale est vraiment favorable au texte, seule la droite de l’Assemblée nationale enregistre quelques voix dissonantes mais je crois qu’il y a peu de doutes sur l’issue.

« Les manifestations sur 24 heures ne font plus peur à aucun pouvoir politique depuis vingt ans. »

— Stéphane Sirot, historien

Et ça, c’est un problème pour les syndicats. Ils cherchaient à peser sur le gouvernement, mais on s’est vite rendu compte que cela était illusoire. Ils espéraient que leur salut vienne des parlementaires mais cela s’annonce aussi compliqué. Aujourd’hui, ils n’ont pas beaucoup d’options. S’ils veulent faire tomber la mesure des 64 ans, ils doivent durcir le mouvement, c’est-à-dire passer le cap des manifestations sur 24 heures. Ce type de mobilisation ne fait plus peur à aucun pouvoir politique depuis vingt ans. Et ce quel que soit le nombre de manifestants. En 2010, le million a été explosé à plusieurs reprises et cela n’a fait bouger personne.

Les Français et les Françaises sont-ils prêts à accepter un blocage total du pays ?

On voit que le mouvement dure puisqu’il a commencé le 19 janvier et des mobilisations sont prévues jusqu’au 7 mars. Les études d’opinion montrent que le soutien serait moindre en cas de blocage mais qu’il resterait significatif. On sent qu’il y a une colère sourde, et pas seulement sur la question des retraites, au sein de la population. L’explosion des prix, la crise énergétique, l’impact de la crise sanitaire contribuent au mécontentement général.

La forte mobilisation dans les petites et villes moyennes témoigne de cette colère profondément ancrée dans la société. Le mouvement est nourri par cela et on peut dire que les syndicats ont gagné la bataille de l’opinion publique. Il ne reste plus qu’à espérer qu’ils obtiennent quelque chose à l’issue car, ne serait-ce que politiquement, si rien ne bouge face à une colère aussi sourde, il y aura un impact électoral lors des prochains scrutins. Les macronistes peuvent jouer sur une « mémoire courte » de nos concitoyens, mais le pari s’annonce risqué.

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