Le Monde : Johan Theuret – Pourquoi la fonction publique n’attire plus ?

Les collectivités territoriales s’émeuvent d’avoir des difficultés à recruter… et pour cause : faiblesse du point d’indice et question du pouvoir d’achat dans un contexte d’inflation, facteurs essentiels du manque d’attractivité

Ce n’est pas seulement un constat de la CGT. Notre directeur adjoint Johan THEURET confirme aussi cette analyse dans une tribune du 3 février du Monde : « Le gel prolongé du point d’indice a miné le système de rémunération et l’attractivité des métiers des services publics… ».

Le gel prolongé du point d’indice a miné le système de rémunération et l’attractivité des métiers des services publics, analyse le haut fonctionnaire

Johan Theuret

La France compte 5,7 millions d’agents publics, dont les problèmes de rémunération renvoient à la fois à la question du pouvoir d’achat dans un contexte d’inflation et à celle, qui leur est propre, de l’attractivité des métiers du secteur public.

Certes, le salaire constitue un levier parmi d’autres de cette attractivité, mais le gel de la valeur du point d’indice sur le temps long a fini par rendre quasi inopérants les autres leviers, notamment l’attrait des missions. Depuis plus d’une décennie, les politiques salariales de la fonction publique sont d’abord liées à la maîtrise des dépenses publiques, aux dépens de tout établissement d’un contrat de confiance dans la durée entre l’État employeur et les agents publics.

Certes, du fait des augmentations individuelles (promotions internes, avancements de grades et d’échelons) et catégorielles (aménagements ponctuels des grilles pour telle ou telle catégorie, comme le Ségur de la santé, le Grenelle de l’éducation, le Beauvau de la sécurité…), le gel de la valeur du point pendant plus de dix ans n’a pas complètement bloqué la hausse de la rémunération des agents publics.

Néanmoins, entre 2013 et 2020, le salaire net moyen du secteur public a augmenté de 8,83 %, tandis qu’il a progressé de 14,35 % dans le secteur privé. Il en va de même du salaire net médian, qui, entre 2013 et 2020, a cré de 13,72 % dans le privé Et de 9,91 % dans le public. C’est pourquoi, dans un contexte d’inflation (5,2 % en 2022 et 4,3 % prévus en 2023), la revalorisation de 3,5 % de juillet 2022, la plus importante annuelle depuis 1985 selon le ministre de la fonction publique, Stanislas Guerini, ne signifie pas une augmentation équivalente du pouvoir d’achat des agents publics.

Entre 2012 et fin 2023, avec une inflation de 22,8 % et é défaut de hausses régulières du point, les fonctionnaires auront perdu 18 % de niveau de vie.

« Fonctionnaire bashing »

À cette érosion du pouvoir d’achat, commune à tous les fonctionnaires, s’est ajouté le tassement des grilles indiciaires.

Ce phénomène est provoqué par les augmentations du smic, qui progresse plus vite que le salaire moyen de la fonction publique. Le rattrapage des hausses du smic par les grilles indiciaires fait que, dans le temps, une part de plus en plus importante des premiers échelons des catégories C et B est rémunérée au smic.

Cela provoque un sentiment de stagnation pour les jeunes agents et engendre pour les plus anciens une très forte réduction du différentiel de salaire lié é l’ancienneté. Suite é la nouvelle augmentation du smic au 1er janvier 2023, qui a bénéficié é 400 000 agents publics, un agent de catégorie A du 1er échelon a ainsi une rémunération indiciaire mensuelle qui n’est supérieure au smic que de 179 euros.

Et malgré la revalorisation des débuts de carrière des agents de catégorie B au 1er septembre 2022, cette différence n’est que de 14,55 euros pour un agent de catégorie B au 1er échelon.

Et elle est de… 7 euros pour un agent de catégorie C neuf ans après son entrée dans la fonction publique. Alors qu’en 2006, elle était encore de 77 euros !

Du fait de l’inflation, les revalorisations salariales intervenues dans le cadre du Ségur de la santé n’ont eu que peu d’effet.

En 2023 comme en 2011, un infirmier en soins généraux perçoit un salaire indiciaire équivalant é 1,1 smic.

De même, l’engagement du président de la République selon lequel un enseignant débutant gagnera 2 000 euros en septembre 2023 pourrait ne pas avoir la portée salariale escomptée. En effet, son traitement indiciaire sera alors de 1,4 fois le smic en septembre 2023, quand, en 2011, il était de 1,5 fois le smic.

Bien que la rémunération ne soit qu’un des facteurs d’attractivité de la fonction publique, à côté des conditions de travail, du déroulement des carrières, des intérêts pour les missions, la lente érosion du pouvoir d’achat des agents publics et l’architecture complexe des rémunérations ont nécessairement des conséquences sur cette attractivité.

Après avoir été écornés par le « fonctionnaire bashing », les métiers du secteur public peinent dorénavant à attirer pour des raisons salariales, alors que la rémunération devient de plus en plus le critère numéro un pour rejoindre une entreprise.

Même si le concours n’est plus la seule porte d’entrée dans la fonction publique, la baisse du nombre de candidats aux concours est révélatrice de ce manque d’attrait. La sélectivité des recrutements externes ne cesse de baisser : elle était en 2020 de 5,8 candidats présents pour 1 admis, contre 12,2 en 2011. En 2022, le nombre de candidats admissibles au capes (certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré) était inférieur au nombre de postes ouverts dans cinq matières. De même, 28 874 personnes ont été candidates en 2019 aux métiers d’auxiliaire de soins ou d’aide-soignant, contre 241 699 en 1997 !

L’insuffisance de la rémunération rejoint bien évidemment la question du pouvoir d’achat et de la précarité financière en général, mais provoque aussi, dans certains territoires urbains, la fermeture de services publics ou pénalise leur continuité de fonctionnement, quand le coût du logement dissuade certains fonctionnaires de venir y occuper un poste.

Dès lors, faut-il continuer à appauvrir les agents publics, à abîmer l’image des métiers du secteur public et é accentuer la dégradation des services publics ? Le retour de l’inflation justifie la pertinence d’une formule d’indexation des salaires sur la base d’un indicateur partagé entre les employeurs publics et les partenaires sociaux, pour éviter les à-coups salariaux. Sans corréler la valeur du point à l’inflation, une formule d’indexation donnerait davantage de visibilité et garantirait une rémunération évolutive et attractive.

Note(s) :

Johan Theuret est directeur général adjoint de la ville et de Rennes Métropole, cofondateur du groupe de réflexion Le Sens du service public et ancien président de l’Association des DRH des grandes collectivités territoriales

 

Imprimer cet article Télécharger cet article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *