L’Elysée et Matignon n’ont pas apprécié la prise de position du haut-commissaire, opposé à une mise en œuvre très progressive du dispositif.
Par Bertrand Bissuel et Raphaëlle Besse Desmoulières Publié le 08 novembre 2019 à 11h00 – Mis à jour le 08 novembre 2019 à 14h46
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Voilà qui rajoute encore un peu de confusion dans un dossier déjà complexe. A moins d’un mois d’un mouvement de grève qui s’annonce très suivi le 5 décembre, l’exécutif a étalé ses divisions sur la réforme des retraites. Depuis plusieurs semaines, l’Elysée et le gouvernement s’efforcent de désamorcer la colère qui monte sur le sujet, en répétant que toutes les options sont sur la table et que le projet sera mis en œuvre de façon très graduelle.
Le 28 octobre, Emmanuel Macron a même évoqué le scénario dit de la « clause du grand-père » qui consisterait à appliquer le changement de règles aux nouveaux entrants dans le monde du travail, à partir de 2025.
Mais cette option ne convient pas à tout le monde – en premier lieu, à Jean-Paul Delevoye. Dans un entretien au Parisien, le haut-commissaire chargé du dossier a déclaré, jeudi 7 novembre, qu’il était opposé à cette solution. « Cela reviendrait à créer un 43e régime, a-t-il indiqué. C’est impossible ! » Si « la clause du grand-père [est retenue], il faut la faire pour tout le monde », pour une « question d’équité », ce qui « veut dire que l’on renonce à la réforme », car celle-ci ne produira ses effets qu’après plusieurs décennies. M. Delevoye avait déjà confié récemment qu’il était défavorable à une telle hypothèse, mais il ne l’avait jamais exprimé aussi nettement, en public.
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« Il n’y a pas deux lignes »
« Poser une question et donner sa position pour susciter le débat, c’est le cœur de la méthode Delevoye, non ? », défend-on dans l’entourage du haut-commissaire. La démarche n’a, toutefois, pas été appréciée, au plus haut sommet de l’Etat.
Jeudi, durant le conseil des ministres, M. Macron et Edouard Philippe ont, selon une source au sein de l’exécutif, pris la parole pour rappeler, en substance, qu’« il n’y a pas deux lignes » mais une seule. Elle a été énoncée à différentes reprises – notamment le 28 octobre par M. Macron ou le 12 septembre, par le premier ministre, dans un discours au Conseil économique, social et environnemental. « La volonté n’est pas de gouverner contre les Français mais de tenir compte de leur avis et de leur parcours de vie », ajoute cette même source.
Si M. Delevoye avait déjà tenu des propos identiques à ceux relatés dans Le Parisien, « ce n’était pas très malin de le redire au moment où on réaffirme de manière constante depuis un mois que les différentes hypothèses sont sur la table », complète un autre conseiller, au sein de l’exécutif.
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Réforme des retraites : un message brouillé
Pas « un homme de polémiques »
A la sortie du conseil des ministres, la porte-parole du gouvernement a minimisé l’événement. « Il n’y a pas de divergences de ligne à l’intérieur du gouvernement », a assuré Sibeth Ndiaye, en estimant que M. Delevoye avait seulement manifesté la « préférence qui était la sienne ». Mais, a-t-elle précisé, « c’est le premier ministre qui est le chef du gouvernement et qui, à ce titre, met en œuvre la politique qui lui est demandée par le président de la République ». Une façon de rappeler à M. Delevoye que ce n’est pas lui qui décide.
Le message a été parfaitement reçu par l’intéressé. Jeudi, l’ex-médiateur de la République a expliqué sur BFM-TV qu’il n’est pas « un homme de polémiques ». « A partir du moment où je livre au débat politique les options, il appartient aux décideurs politiques, le président et le premier ministre, de décider, et cette décision s’imposera à tous », a-t-il poursuivi.
Vendredi matin, M. Philippe devait s’entretenir avec M. Delevoye au téléphone. Une conversation en forme de « mise au point », selon un acteur au cœur du dossier. Pour ne pas dire un recadrage.
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